lundi 29 septembre 2014

Edouard Manet (1832-1883) - Le saumon



Edouard Manet (1832-1883)
Le saumon (1869)
Shelburne Museum, Vermont

Que voit-on ? C'est une nature morte d'avant 1870, c'est à dire qui fait appel à tout l'attirail de verrerie, de porcelaine et d'argenterie que Manet aimait tant chez es maîtres anciens. Le Saumon – l’une des deux toiles de Manet, avec Clair de lune sur le port de Boulogne, que Durand-Ruel se rappelle avoir vues aux murs de l’atelier d’Alfred Stevens, au début de janvier 18721 – donna envie au marchand d’acheter plus de vingt toiles directement à l’artiste. Le 20 janvier, il envoie cette nature morte (en même temps que sept de ses nouveaux Manet) à la German Gallery à Londres, avant de l’exposer ce même été à la Triennale de Bruxelles (no 490, Un déjeuner). La toile retournera à Londres une seconde fois avant d’être achetée par Jean-Baptiste Faure pour 1 500 francs en 1874. Douze ans plus tard, Durand-Ruel inclut ce tableau dans son exposition à New York, où il le vend pour 15 000 francs à H.O. Havemeyer, qui hésitait entre Le Saumon et L’Enfant à l’épée. Après avoir vu les tableaux à la National Academy of Design, Havemeyer explique à sa femme Louisine : « La nature morte était très belle et je l’ai achetée pour vous, et je dois avouer que L’Enfant à l’épée dépassait mes moyens. » Il a peut-être été encouragé à acheter cette oeuvre (son premier Manet) en lisant l’article élogieux d’un critique : « La “nature morte” de Manet, est, là encore, une de ces natures mortes où, de l’aveu de tous, le peintre se révèle incomparable ; cette toile, l’une de ses meilleures et des plus faciles à comprendre, présente un spécimen de ses admirables poissons écailleux et un citron coupé, qui est certainement le citron le plus cruellement acide jamais peint . »

Texte extrait du catalogue de l'exposition au Musée du Luxembourg (Paris)


Rappel biographique : le peintre français Édouard Manet est un peintre majeur de la fin du 19e siècle, initiateur de la peinture moderne qu'il libère de l'académisme, C'est une erreur de considérer Édouard Manet comme l'un des pères de l'impressionnisme : il s'en distingue en effet par une facture soucieuse du réel. Manet n'utilise pas (ou peu) les nouvelles techniques de la couleur et le traitement particulier de la lumière, utilisées par les impressionnistes. Il s'en rapproche cependant par certains thèmes récurrents comme les portraits, les paysages marins, la vie parisienne ou encore les natures mortes, tout en peignant de façon personnelle, dans une première période, des scènes de genre (sujets espagnols et odalisques entre autres).
Lorsque Manet a peint des natures mortes, c'est surtout pour des raisons financières qu'il l'a fait. Il avouait lui-même avoir plus de facilités à les négocier que ses portraits. Cela ne signifie pas qu'elles soient d'un intérêt mineur, bien au contraire : la scénographie qu'il impose à ses natures mortes est tout simplement prodigieuse, qu'il s'agisse de solo comme Le citron ou L'asperge ou de mise en scène collectives comme dans ces Fruits sur la table ou Panier de fruits.
Manet aimait aussi les natures mortes : « Un peintre peut tout dire avec des fruits ou des fleurs, ou des nuages seulement », affirmait-il. Une part non négligeable de son œuvre est consacrée à ce genre, avant 1870 surtout puis dans les dernières années de sa vie où la maladie l'immobilise dans son atelier. Certains éléments de ses tableaux constituent de véritables natures mortes comme le panier de fruits dans le Déjeuner sur l'herbe, le bouquet de fleurs dans Olympia ou le pot de fleurs, la table dressée et différents objets dans le Petit déjeuner dans l'atelier. Il en va de même dans les portraits avec le plateau portant verre et carafe dans le Portrait de Théodore Duret ou la table et les livres dans le portrait d’Émile Zola. Mais les natures mortes autonomes ne manquent pas dans l’œuvre de Manet : l'artiste a ainsi plusieurs fois peint poissons, huîtres ou autres mets (Nature morte au cabas et à l’ail, 1861-1862, Louvre-Abou Dhabi, ou La Brioche, 1870 - Metropolitan Museum of Art, New York), rendant ainsi une sorte d'hommage à Chardin. Il a peint plus souvent encore des sujets floraux qui évoquent la peinture hollandaise (roses, pivoines, lilas, violettes) ou encore des fruits et des légumes (poires, melons, pêches, citrons, asperges) .
A sa mort, Édouard Manet laisse plus de 400 toiles, des pastels, esquisses et aquarelles. Ses plus grandes œuvres sont aujourd'hui visibles dans tous les musées du monde.
" Considérant l'importance de la nature morte chez Manet, beaucoup – et cela dès les années 1890 – y ont vu la marque la plus évidente de la révolution qu'il accomplissait, l'avènement d'une peinture uniquement préoccupée d'elle-même et débarrassée de la tyrannie du sujet. En refusant toute hiérarchie à l'intérieur même du tableau, en donnant autant d'importance à l'accessoire qu'à la figure, Manet assurément rompait avec les règles académiques. (...) Comme Cézanne et comme Monet qu'il influencera, Manet trouvait dans la nature morte, obéissante et disponible, un laboratoire d'expériences colorées dont il répercutait aussitôt les trouvailles dans d'autres compositions ; comme Cézanne et comme Monet, il dit cette curieuse obsession de l'éclatante blancheur et voulut peindre lui aussi ces tables servies avec leurs nappes blanches "comme une couche de neige fraîchement tombée" (Nature morte avec melon et pêches, Washington, National Gallery of Art). Manet, peintre de natures mortes, a médité les grands exemples anciens, celui des Espagnols et de leurs bodegones, celui des Hollandais, celui de Chardin). Dans les années 1860, il joue des franches oppositions du noir et du blanc, bois sombre de la table, éclat d'une nappe ou serviette sur lesquelles il dispose ses notes colorées. (...)"

Texte extrait du catalogue de l'exposition "Manet et les natures mortes" (Musée d'Orsay- Paris


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