vendredi 24 mai 2019

Edouard Manet (1832-1883) - Poissons



Edouard Manet (1832-1883)
Poissons, 1864
Huile sur toile (73.5 × 92.4 cm)
Art Institute of Chicago (Gallery 22) 

Que voit on ? 
Les huîtres, le rouget et l'anguille sont des thèmes fréquents dans les natures mortes de Manet. Ici, comme à son habitude, Manet utilise  pour relever les tonalités de sa palette le citron (qu'il a aussi peint tout seul).
Cette nature morte qui date d'avant 1870 et se ressent davantage du mouvement Réaliste que de l'Impressionnisme n'en reste pas moins une des plus belles que Manet ait peinte. Elle appartient à la période ou Manet s'intéresse le plus au genre de la nature morte.  L'Art Institute of Chicago  qui possède une fabuleuse collection de Manet, propose de cette toile l'analyse suivante : " L’attention portée par Manet aux natures mortes coïncide avec la réhabilitation progressive de genre au XIXe siècle, en partie due à  l'émergence d'une classe moyenne dont les goûts se portent plutôt en priorité vers ces œuvres intimistes  endues à prix modérés. Cette peinture, comme beaucoup de natures mortes de Manet, rappelle les modèles hollandais du XVIIe siècle. L’exécution directe, le trait audacieux et l’immédiateté de la vision affichée sur la toile permettent toutefois de mieux comprendre pourquoi le public trouva le travail de Manet si peu orthodoxe. Alors que " Poissons" est bien une "nature morte", il semble tout à coup de plus rien apparaitre de ce genre (très codifié) dans cette toile :  les produits sont-ils trop vivants et la peinture trop vigoureuse pour le public de l'époque ? Il faut dire la carpe, jetée au milieu de la composition, vient animer de façon inattendue la composition en contredisant violemment  la diagonale unificatrice de tous les  autres éléments. Manet n'a jamais soumis ses natures mortes au Salon français officiel, mais les a plutôt vendues à travers son  florissant réseau de galeries d'art parisiennes ou a préféré les donner à des amis."

Rappel biographique : le peintre français Édouard Manet est un peintre majeur de la fin du 19e siècle, initiateur de la peinture moderne qu'il libère de l'académisme, C'est une erreur de considérer Édouard Manet comme l'un des pères de l'impressionnisme : il s'en distingue en effet par une facture soucieuse du réel. Manet n'utilise pas (ou peu) les nouvelles techniques de la couleur et le traitement particulier de la lumière, utilisées par les impressionnistes. Il s'en rapproche cependant par certains thèmes récurrents comme les portraits, les paysages marins, la vie parisienne ou encore les natures mortes, tout en peignant de façon personnelle, dans une première période, des scènes de genre (sujets espagnols et odalisques entre autres).
On a beaucoup dit que lorsque Manet avait peint des natures mortes, c'était surtout pour des raisons financières qu'il l'avait fait. Il avouait lui-même avoir plus de facilités à les négocier que ses portraits. Cela ne signifie pas qu'elles aient été d'un intérêt mineur pour lui bien au contraire : la scénographie qu'il impose à ses natures mortes est tout simplement prodigieuse, qu'il s'agisse de solo comme Le citron ou L'asperge ou de mise en scène collectives comme dans Fruits sur la table ou Le Panier de fruits ou d'hommage à d'illustres maitres comme son hommage à Chardin avec La Brioche, 1870 (MET, New York).
Manet aimait authentiquement les natures mortes : « Un peintre peut tout dire avec des fruits ou des fleurs, ou des nuages seulement », affirmait-il. Une part non négligeable de son œuvre est consacrée à ce genre, avant 1870 surtout puis dans les dernières années de sa vie où la maladie l'immobilise dans son atelier. Certains éléments de ses tableaux constituent de véritables natures mortes comme le panier de fruits dans Le Déjeuner sur l'herbe, le bouquet de fleurs dans Olympia ou le pot de fleurs, la table dressée et différents objets dans Le Petit déjeuner dans l'atelier. Il en va de même dans les portraits avec le plateau portant verre et carafe dans le Portrait de Théodore Duret ou la table et les livres dans le Portrait d’Émile Zola. Mais les natures mortes autonomes, qui se revendiquent comme telles, ne manquent pas dans l’œuvre de Manet !
Considérant l'importance de la nature morte chez Manet, beaucoup – et cela dès les années 1890 – y ont vu la marque la plus évidente de la révolution qu'il accomplissait, l'avènement d'une peinture uniquement préoccupée d'elle-même et débarrassée de la tyrannie du sujet. En refusant toute hiérarchie à l'intérieur même du tableau, en donnant autant d'importance à l'accessoire qu'à la figure, Manet assurément rompait avec les règles académiques. (...) Comme Cézanne et comme Monet qu'il influencera, Manet trouvait dans la nature morte, obéissante et disponible, un laboratoire d'expériences colorées dont il répercutait aussitôt les trouvailles dans d'autres compositions ; comme Cézanne et comme Monet, il dit cette curieuse obsession de l'éclatante blancheur et voulut peindre lui aussi ces tables servies avec leurs nappes blanches "comme une couche de neige fraîchement tombée" (Nature morte avec melon et pêches, National Gallery of Art, London). Manet, peintre de natures mortes, a médité les grands exemples anciens, celui des Espagnols et de leurs bodegones, celui des Hollandais et bien sûr celui de Chardin. Dans les années 1860, il joue des franches oppositions du noir et du blanc, bois sombre de la table, éclat d'une nappe ou serviette sur lesquelles il dispose ses notes colorées.
A sa mort, Édouard Manet laisse plus de 400 toiles, des pastels, esquisses et aquarelles. Ses plus grandes œuvres sont aujourd'hui visibles dans tous les plus grands musées du monde.

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2019 - A Still Life Collection
Un blog de Francis Rousseau

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