Serge Charchoune (1888-1975)
Nature morte à la cruche, 1941
Centre Pompidou, Paris
Que voit-on ? Une cruche en effet mais destructurée et transformée par le génie de ce très grand peintre dadaïste
(mal connu du grand public) au point d'en devenir un objets mystiques,
comme extrait d'une liturgie sacrée en cours d'exécution. L'ensemble de la toile est une monochromie de beiges et gris, ce
qui ajoute au pouvoir hypnotisant de l'œuvre.
Rappel biographique : Sergei Ivanovitch Charchoune (Сергей
Иванович Шаршун) est un peintre et poète d'origine russe dont
l'essentiel de la carrière s'est déroulée à Paris. En 1912, renonçant
au métier de négociant qui lui était destiné et après avoir déserté
l'armée russe, il arrive à Paris et s'inscrit dans l'atelier du peintre
cubiste Henri Le Fauconnier. Après la déclaration de guerre de1914, il
se réfugie à Barcelone où il rencontre le boxeur-poète Arthur Cravan,
les peintres Albert Gleizes,
Marie Laurencin et
Francis Picabia,
et Josef Dalmau à la fois antiquaire et passionné par l'art
d'avant-garde. Grâce à ce dernier, Charchoune expose dès 1916 et 1917,
des peintures abstraites qu'il qualifie lui-même d'«
ornementales ».
Après la révolution bolchévique d'octobre 1917, il tente de rentrer en
Russie, mais échoue finalement à Paris. Le 26 mai 1920, il assiste au Festival Dada de
la salle Gaveau et retrouve Picabia. Il fréquente les réunions des
dadaïstes au café Certá (passage de l'Opéra) et participe aux
manifestations Dada, notamment le « Procès Barrès » organisé par André Breton en mai 1921.
Au salon Dada de la galerie Montaigne, organisé par Tristan Tzara un
mois plus tard, Charchoune expose des dessins inspirés des œuvres «
mécaniques » de Picabia. Il compose également un poème illustré de douze
dessins,
Foule immobile, très bien accueillis par les dadaïstes.
À son tour, il crée un groupe Dada appelé
Palata Poetov (
La Chambre des Poètes)
qui se réunit au café Caméléon, 146, boulevard du Montparnasse. Le 21
décembre 1921, une soirée « dadaïste russe » est un échec malgré la
présence de Breton et Louis Aragon. Charchoune ne persiste pas et, en
mai 1922, il se rend à Berlin, toujours dans l'espoir d'obtenir un visa
pour l'URSS. Il y créé une revue Dada en langue russe
Perevoz Dada («
Le Transbordeur Dada »)
dont il rédige seul le premier numéro (juin 1922). Après avoir édité
une anthologie de poésie dadaïste allemande, française et russe
Dadaizm, kompilacija et collaboré à diverses revues comme
Merz de Kurt Schwitters, Charchoune délaisse le mouvement.
À Berlin, toujours, il expose une nouvelle série de peintures qu'il
appelle « cubisme ornemental ». Il rencontre des artistes russes déçus
par la révolution, dont la danseuse Isadora Duncan. Charchoune renonce
alors à rentrer en URSS et retourne à Paris en 1923. Après sa rencontre
avec
Amédée Ozenfant,
il adopte le style puriste. À partir de 1954 ,son œuvre devient de plus
en plus abstraite et dépouillée, quasi monochrome, inspirée par la
musique.
Bien qu'il se gardera de participer à tout autre mouvement, Charchoune
n'aura jamais, jusqu'à sa mort, renié son adhésion à Dada. Très peu
connu du grand public, et pourtant dans les collections de nombreux
musées, Charcoune n'a jamais été vraiment oublié des professionnels de
l'art. Depuis les années 2000, son oeuvre bénéficie d'un regain
d'interêt certain ... qu'elle mérite amplement.