samedi 31 décembre 2016

Jean-Baptiste Oudry (1686-1755) - Nature morte au violon devant la cheminée

Jean-Baptiste Oudry (1686-1755) Nature morte au violon devant la cheminée Huile sur toile, 80 x102 cm Musée du Louvre - Paris

Jean-Baptiste Oudry (1686-1755)
Nature morte au violon devant la cheminée
Huile sur toile, 80 x102 cm
Musée du Louvre - Paris 

 Que voit on ?   C 'est une nature morte aux instruments de musique mais qui se présente sous une forme très différente, beaucoup plus vivante que celle habituellement très statique rendue par les peintres français ou italiens des 17e et 18e siècle. Ici on a l'impression que le musicien s'est absenté du tableau pour un court instant et qu'il va revenir d'un moment à l'autre pour reprendre son travail. Une magnifique chaise Régence aux généreuses proportions atteste de la façon confortable dont on installait ceux qui étaient en charge de la musique de la maison et date le tableau (après la mort de Louis XIV). Elle sert aussi de support (momentané) à un très imposant livre de partition ouvert, à un violon et à son archer, à une flûte et à un pupitre portable qui permettait aux musiciens d'éclairer la partition à la bougie pour la lire dans la pénombre des salons où ils se produisaient. Sous la chaise git une guitare classique du type de celles dont feu le roi Louis XIV adorait jouer, orné de son magnifique ruban-écharpe. Puis encore quelques livres de partitions jetés ici et là à terre pour ajouter à la vie de ce petit coin de salon en fête.  Pour finir enfin, ce très grand maître qu'est Oudry, se livre  à un exercice des plus élégants au 18e siècle : laisser imaginer ce que l'on ne voit pas, en l'occurrence la cheminée inscrite dans le titre mais invisible dans l'oeuvre.  Un petit chef d'oeuvre de nature morte qui en réalité et - fait assez rare pour être souligné -  n'a jamais quitté le Palais du Louvre dans un salon duquel elle est née.

Rappel biographique : Le peintre et graveur français Jean-Baptiste Oudry est surtout célèbre pour ses peintures de chiens de chasse, ses natures mortes animalières et ses animaux exotiques. Fils de Jacques Oudry, maître peintre et marchand de tableaux sur le Pont Notre-Dame, et de sa femme Nicole Papillon, qui appartenait à la famille du graveur Jean-Baptiste-Michel Papillon, Jean-Baptiste Oudry étudia tout d'abord à l'Ecole de la Maîtrise de Saint-Luc, dont son père était directeur. Il fut placé ensuite chez le grand peintre du roi Nicolas de Largillière, dont il devint bientôt le commensal et l'ami. Après avoir peint quelques sujets religieux et un portait du Tsar Pierre 1er, il rencontre le marquis de Beringhen, premier écuyer du roi. Cette rencontre est décisive car le marquis commande à Oudry de nombreux ouvrages pour le roi. Dès lors on octroie à Oudry un atelier dans la cour des princes aux Tuileries et un logement au Palais du Louvre où il forma un cabinet renommé. 
Oudry suivait les chasses royales et faisait de fréquentes études dans la forêt de Compiègne.
L'intendant des finances, Fagon, le prit à son service et le chargea de rétablir la manufacture de Beauvais, tombée en décadence. Oudry s'adjoignit Boucher et Natoire pour exécuter la copie des tableaux. On lui confia également l'inspection de la manufacture des Gobelins, où l'on exécutait les tapisseries des chasses du roi d'après ses tableaux.
Jean-Baptiste Oudry a peint le portrait, l'histoire, les chasses, le paysage, les animaux, les fruits, les fleurs ; il a imité les bas-reliefs ; il a fait du pastel, de la décoration ; il aussi gravé à l'eau-forte. On lui doit deux conférences qui furent lues à l'Académie, « Sur la manière d'étudier la couleur en comparant les objets les uns avec les autres » et « Sur les soins que l'on doit apporter en peignant ». Oudry a laissé un grand nombre de dessins dont les plus connus sont les 275 dessins qui servirent à l'édition dite des Fermiers généraux des Fables de La Fontaine, gravées par  Charles-Nicolas Cochin. Il est également l'auteur d'un Almanach de rébus paru en 1716


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2016 - A Still Life Collection 

Un blog de Francis Rousseau

vendredi 30 décembre 2016

Andy Warhol (1928-1987) - Three Cokes


Andy Warhol (1928-1987)
Three Cokes
Private collection 

Que voit on ? Trois bouteilles de Coca Cola en verre facilement reconnaissable à leur forme typique, emblème de l'hégémonie culturelle et commerciale américaine au 20e siècle. Le logo de la marque est ici traité par Warhol de façon vintage, comme si cette affiche était un vestige trouvé dans une ruine du futur. Une idée que le principal concurrent de Coca Cola, Pepsi Cola s'est empressé de reprendre  à son compte dans un de ses célèbres spots publicitaires des années 1990 où un astronaute retrouve une capsule de Pespi Cola rouillée en fouillant le sol d'une planète lointaine.

Rappel biographique : On ne présente plus l'artiste américain Andy Warhol, pape du Pop art, (Pope of the pop), sujet de multiples expositions, livres, et films avant et depuis sa mort... Warhol est généralement reconnu comme l'un des très grands artistes du  20e siècle. Avec lui la nature morte peut prendre toutes les formes humoristiques imaginables (et même inimaginables!) des célèbres boîtes de Campbell soup à des oeufs en forme de pastilles colorées (déjà publiés dans ce blog), en passant par des trèfles à 4 feuilles traitées façon capucines et vendus en rouleaux de papier peint. Warhol iconoclaste adoré de son vivant par les grands de ce monde, les élites intellectuelles, les stars d'Hollywood et les riches aristocrates anglos saxons qu'il aimait malmené, était en fait un puritain, très religieux et assez " coincé "...
Tout commence pour lui au début des années 1960, lorsque publicitaire déjà  reconnu, il utilise dans ses dessins une technique directe sur du papier hydrofuge et repasse les contours avec de l'encre encore humide sur des feuilles de papier absorbant, en adoptant le vieux principe du buvard. Bien qu'à cette époque, beaucoup d'artistes soient illustrateurs publicitaires pour des entreprises, tous le font discrètement. Pour Warhol, c'est le contraire : il est tellement connu en tant que publicitaire que son travail artistique n'est pas pris au sérieux. Il présente dans une galerie quelques-unes de ses œuvres, mais c'est un échec. Reconsidérant alors son travail alimentaire et son travail de peintre, plutôt que de les opposer, il pense à les réunir. Il a l'idée d'élever les images de la culture populaire au rang de l'art élitiste, rejoignant ainsi les artistes du pop art, mouvement lancé à Londres au milieu des années 1950 par Richard Hamilton et Eduardo Paolozzi, qui l'expérimentent indépendamment les uns des autres. Si Roy Lichtenstein et Jasper Johns en sont les pionniers, Andy Warhol  en sera véritablement le pape.
En 1963, il adopte la technique qu'il utilisera pour ses œuvres les plus célèbres : la photographie sérigraphiée sur toile. 
Les photographies simplifiées en noir et blanc, sans gris, sont imprimées en sérigraphie sur la toile peinte de grands aplats de couleurs. Le motif est parfois reproduit plusieurs fois sur la toile, comme un motif de papier peint. C'est le stéréotype du pop art.
Ses motifs de prédilection sont des noms célèbres de marques déposées, le symbole du dollar, les visages de célébrités...  
Le thème des Comics, qui avait d'abord intéressé l'artiste, était déjà largement exploité  par le peintre Roy Lichtenstein qui en avait fait sa marque de fabrique. Jasper Johns avait choisi la typographie. Pour se démarquer, Warhol comprit qu'il devait lui aussi trouver sa marque. Ses amis lui ayant conseillé de peindre ce qu'il aimait le plus, il choisit de représenter les conserves de Campbell's Soup, pour sa première exposition majeure. Les boîtes de Campbell's Soup ouvertes ou neuves, rouillées, aux étiquettes déchirées, uniques ou multipliées, en séries, en damiers, seront le thème récurrent de Warhol. Pour lui, l'image, son pouvoir au sein de la société de consommation est en lien avec la mort. La répétition de la figure se rapporte souvent à son extinction. Le choix des sujets est en rapport avec cette obsession de la mort, y compris pour les toiles célèbres sérigraphiées de Marilyn Monroe (peintes après sa mort, notamment les Diptyque Marylin) ou de Liz Taylor (peinte alors que l'actrice était gravement malade), icônes reproductibles à l'infini qui deviennent des images de consommation.
Dans les dernières années de son œuvre, Warhol presque peintre officiel, appliquera son style à de nombreux portraits de commande, tout en continuant à expérimenter d'autres techniques picturales dans ses séries ShadowsOxydation paintings, et ses reprises de toiles de Botticelli ou de Léonard de Vinci.


jeudi 29 décembre 2016

Fairfield Porter (1907-1975) - At the Table



Fairfield Porter (1907-1975)
At the Table, 1950 
MoMA, New York

Que voit on ? Une scène de cuisine, la fenêtre éclairant juste devant elle une chaise haute de bébé triomphalement posée bien que désertée de son occupant et, sur la droite de la composition, un guéridon recouvert d'une nappe blanche, vide aussi de tout contenu. Occupant tout l'avant du cadre et presque la moitié du bas de la composition, une immense table ronde recouverte d'une nappe que la lumière tombante rend rose et entourée d'une seule chaise vide. Sur cette nappe : 9 fruits (oranges? pommes ?) et leurs ombres portées, disposés comme des boules sur une table de billard, prêtes pour le jeu. En bas au milieu de la toile, un coquillage vide et gris... trahissant peut être son usage en manière de cendrier.

Rappel biographique : Fairfield Porter était un peintre et critique d'art américain, frère du photographe Eliot Porter. C’est en étudiant à Harvard, que Porter décida de se spécialiser dans les beaux-arts et de poursuivre, après son déménagement à New York en 1928, ses études à l'Art Students League. Son passage à l’Art Students League le formate plus ou moins pour produire un travail réaliste. Il sera d’ailleurs beaucoup critiqué et à la fois vénéré pour s'être obstiné dans ce style réaliste dans un époque où  le mouvement de l'expressionniste abstrait bas son plein dans le monde. Les sujets des tableaux de Porter sont principalement des paysages, des intérieurs, quelques natures mortes et beaucoup de portraits. Portraits de famille, portraits d'amis et de collègues artistes, dont beaucoup étaient affiliés de l’école littéraire de New York, comme John Ashbery, Frank O'Hara ou James Schuyler. Un grand nombre de ses peintures ont été réalisées dans ou autour de sa maison estivale de famille à Great Spruce Head Island, dans le Maine et dans sa maison de famille citadine à New York. Sa vision picturale englobe à la fois une réelle fascination pour la nature et la capacité de révéler tout ce qu’il peut y avoir d’exceptionnel dans la vie ordinaire.  Très influencé par les peintres français Pierre Bonnard et Edouard Vuillard, il a même écrit   " Quand je peins, je pense que ce qui peut me satisfaire est d'exprimer au mieux ce que Renoir conseillait à Bonnard : «  Rendre tout plus beau » ".

mercredi 28 décembre 2016

Anna Atkins (1799-1871)




Anna Atkins (1799-1871)
Cystoseira foeniculacea, 1850
Private collection

Que voit- on ? Une des toutes premières photographie de la première moitié du 19e siècle représentant  une branche de Cystoseira foeniculacea, une algue marine répertoriée et nommée pour la premiere fois en 1830 par Gréville dans Algae Britannicae qui décrit " les plantes aquatiques et marines et autres plantes inarticulées que l'on peut trouver sur les iles britanniques et qui appartiennent a la catégorie des algues ". C'est donc pour Anna Atkins une découverte scientifique très récente qu'elle décide de photographier dans son sélectif repertoire d'algues British Algae: Cyanotype Impressions.

Rappel biographique : Anna Atkins est une botaniste britannique, considérée comme une pionnière de l'utilisation d'images photographiques (notamment par cyanotype) pour l'illustration d'ouvrages imprimés, en l'occurrence des herbiers qu'elle fit paraître à partir de 1843. Certains la considèrent même comme la première femme à avoir réalisé une photographie, titre qu'elle dispute avec Constance Talbot, l'épouse de William Henry Fox Talbot.
Orpheline de mère très jeune, c’est son père, John George Children (1777-1852), naturaliste réputé, qui l’élève. Elle reçoit ainsi une formation scientifique rare pour les femmes de son époque. Illustratrice de renom, elle réalise les deux cent cinquante gravures qui illustreront la traduction anglaise de l’ouvrage de Jean-Baptiste de Lamarck (1744-1829), Histoire des mollusques, qui paraît en 1822-1824, sous le titre de Genera of Shells. Cette traduction, réalisée par son père, a un rôle important dans la nomenclature des coquillages car elle fournit les types permettant d’identifier les genres créés par Lamarck.
Elle se marie en 1825 avec John Pelly Atkins et se consacre dès lors à la biologie et commence la confection d’un herbier. Anna Atkins offre certains spécimens au Museum du Kew Gardens. Elle devient membre, en 1839, de la Société botanique de Londres, l’une des rares sociétés savantes ouvertes aux femmes. En 1841, elle commence à s’intéresser aux algues à la suite de la publication de A Manual of the British marine Algae de William Henry Harvey (1811-1866).
Grâce а son père, elle connaît très bien les travaux de sir John Herschel (1792-1871) et de William Henry Fox Talbot (1800-1877), deux pionniers de la photographie. Elle commence à faire paraître en 1843 son ouvrage British Algae: Cyanotype Impressions qui est le premier ouvrage publé à utiliser des photogrammes réalisés par cyanotype, une technique tout juste inventée par Herschel. Douze parties paraissent jusqu’en 1853, tirées à environ 400 exemplaires, dont une douzaine nous sont parvenus plus ou moins complets. En 1853, elle applique le même procédé aux fougères et fait paraître Cyanotypes of British and Foreign Ferns. Elle travaille en collaboration avec son amie Anne Dixon (1799-1864). Les cyanotypes ont l’avantage d'être simples à réaliser et de présenter une grande stabilité dans le temps.
Elle lègue son herbier au British Museum en 1865.

mardi 27 décembre 2016

James Ensor (1860-1949)


James Ensor (1860-1949)
Still life with peaches
Private collection

Que voit on ? Sur un entablement de peintre qui  figure un dessus de cheminée : quatre pêches dont une ouverte montrant un noyau central encore en place et un fruit de la passion ouvert en deux dont il manque la seconde partie. A l'arrière plan : un pot en porcelaine de Chine dans lequel on a posé, à côté d'un Bonsai, un coquillage rouge dont les circonvolutions sont en tous points semblables aux pétales d'une immense rose ou d'une pivoine géante. Toute la poésie et le mystère des compositions de ce très grand peintre concentrées, avec un talent de coloriste d'une infinie subtilité,  dans ce petit  "dessus de cheminée" qui date de la période 1882-1887, extrêmement différent des toiles de la maturité.

Rappel  biographique : Le peintre belge James Ensor se revendiquait du mouvement anarchiste et a laissé une œuvre expressionniste très importante. Il est un des membres fondateurs du groupe bruxellois d'avant garde Les Vingt. En 1898, il est l'un des instigateurs du bal du Rat mort qui a lieu à la fin du carnaval d'Ostende. Ensor doit attendre le début du 20e siècle pour assister à la reconnaissance de son œuvre : expositions internationales, visite royale, anoblissement avec titre de baron, Légion d'honneur ... on le  surnomme alors le prince des peintres. Et c'est précisément ce moment qu'il choisit pour abandonner la peinture et consacrer les dernières années de sa vie exclusivement à la musique !
Dans beaucoup de ses tableaux Ensor est fasciné par la lumière d'Ostende, sa ville natale, qui lui inspire des pâleurs secrètes : « La lumière déforme le contour. Je vis là-dedans un monde énorme que je pouvais explorer, une nouvelle manière de voir que je pouvais représenter. » 
Dans la Mangeuse d'huîtres (1882), une nappe immaculée éblouit l'avant-plan et tombe quasi en dehors des limites du cadre. Malgré les tableaux prestigieux que celui-là rappelle (toute la tradition des natures mortes  flamande du 17e siècle), mais aussi Vuillard, on le refuse au Salon d' Anvers. L'année suivante, toutes ses toiles sont rejetées du Salon de Bruxelles et il est mis à l'écart du Cercle des 20. Ulcéré, il  bascule dans la déraison, couvre et balafre ses toiles de couleurs rougeoyantes symbolisant son exaspération.
C'est entre 1887 et 1893 qu'il peint ses plus beaux tableaux : la gamme chromatique prend feu au milieu des nacres translucides des ciels et des marines. Contemporaine de Van Gogh et d'Edvard Munch, son œuvre contient beaucoup des futures révolutions du Fauvisme au Mouvement Cobra.
Il va s'appliquer à mettre en évidence les aspects grotesques des choses, et s'orienter vers une vision radicale, sarcastique et insolente du monde. Comme chez Pieter Brueghel l'Ancien ou Jérôme Bosch, l'inanimé respire et crie. Ses obsessions et ses peurs jouent un rôle manifeste dans les traits menaçants qu'il attribue aux objets utilitaires, aux revenants et aux masques. Ces derniers, à partir des années 1880  dominent son inspiration et renvoient au carnaval, ce « monde à l'envers », anarchique où les rapports sociaux sont démontrés par l'absurde.
Artiste pluraliste, il l'est également dans son style et ses techniques: toile, bois, papier, carton, couteau à palette, pinceau fin ou spatule… : « Chaque œuvre devrait présenter un procédé nouveau », écrit-il. 
Dans un but purement alimentaire, il édite des eaux-fortes, les fameux « biftecks d'Ensor », œuvres purement commerciales mais qui ont fait alors la fierté des marchands de souvenirs. Il réalise aussi des caricatures à la manière de Bruegel et de Bosch. 
Par sa prédilection pour les personnages masqués, les squelettes, qui, dans ses tableaux, grouillent dans une atmosphère de carnaval, Ensor est le père d'un monde imaginaire et fantastique qui annonce le surréalisme.

lundi 26 décembre 2016

Sam Taylor-Wood (bn. 1967)


Sam Taylor-Wood (bn. 1967)
Stil life two, 2001, 
Tate Modern, London 

Que voit on ?   Un plateau de fruits couverts de moisissures. Cette image est une image arrêtée à un instant T de la série de videos que Sam Taylor Wood proposa en 2001 sur les natures mortes en mouvement qui se terminaient  toutes par  le pourrissement intégral de la matière exposée et sa décomposition sous l'objectif de la caméra video, jour après jours. Sam Taylor Wood rendait ainsi au passage un hommage à une très ancienne préoccupation  thématique des peintres de natures mortes de l'Antiquité romaine et de l'Age d'or le hollandais sur la représentation de la "corruption de la matière vivante avec le temps".  Dans sa série de video, cette  artiste contemporaine insiste sur le vivant en opposant aux fruits qui pourrissent inexorablement, le stylo bille en plastique posé sur l'entablement en bois, des matières inertes que le temps n'atteint pas (en tout cas pas de la même façon).  

Rappel biographique :  Sam Taylor-Wood est une photographe, vidéaste et réalisatrice britannique, née en 1967 à Croydon (Angleterre).  Son travail est centré sur la difficulté à  communiquer les émotions. Ses premiers films 16 mm (1993), Killing Time (1994), Noli me tangere (1998) ont été présentés pour la première fois en France à la MEP.  Elle associe la performance et les références aux mises en scène iconographiques les plus connues de la peinture : la Sainte-Cène et la Pietà par exemple. Elle visite la structure du tableau divisé en panneau central  dans la série Soliloquy. Elle propose une nature morte en mouvement qui se termine par  le pourrissement intégral  de la matière et sa décomposition sous l'objectif de sa  caméra video, jour après jours (voir ci-dessus).
 En 2004, elle filme le footballeur David Beckham endormi. En 2006, elle participe au film collectif Destricted avec le court métrage Death Valley. Ses photographies les plus connues Wrecked (1996), Soliloquy (1998-2000), Self portrait suspended (2004) et Crying Men (2002-2004), représentent des visages masculins, des acteurs essentiellement, en train de pleurer.  En 2009, elle réalise Nowhere Boy, un film biographique sur l'adolescence de John Lennon. En 2013, elle est choisie pour réaliser l'adaptation cinématographique de la trilogie а succès Fifty Shadows of  Grey, qui sort sous le même titre au cinéma pour la Saint-Valentin 2015. Sam Taylor-Wood a reçu le titre d'officier de l'Ordre de l'Empire britannique (OBE) à l'occasion de la Queen's Birthday honours list le 11 juin 2011, pour services rendus aux arts.

dimanche 25 décembre 2016

Jean-Baptiste-Siméon Chardin (1699-1779) - Les débris d'un déjeuner, 1756

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Jean-Baptiste-Siméon Chardin (1699-1779)
La table  d'office dit aussi Les débris d'un déjeuner, 1756
Musée des Beaux Arts de Carcassonne  


Que voit-on ?  C'est une mise en scène assez hétéroclite d'objets très divers en attente de service plutôt qu'en retour de service.  En corrigeant le titre de Débris d'un déjeuner en La table d'office, Pierre Rosenberg a démontré qu'il s'agissait non pas de restes d'un déjeuner mais bien d'un déjeuner en attente d'être consommé, posé sur une table sur laquelle reposent des aliments encore intacts (le pâté en croûte par exemple) ou la soupière encore fermée. Dans cette composition, on atteint une précision, une délicatesse et un souci du réel dans la peinture de la douceur de vivre domestique qui a peu d'égal en son temps. Une sorte d'inventaire de l'art du désordre en symétrie dans lequel on relève : deux tasses en porcelaine et un sucrier posé sur une desserte en bois couleur sang de boeuf ; une linge blanc déplié en plein centre de la composition et chevauchant partiellement le pâté en croûte aux subtils sculptures ; des pommes et une grenade groupées ; une belle soupière en porcelaine dont le contenu est maintenu au chaud ; un plat un peu poussiéreux en céramique blanche dans lequel rien se se reflète ; un pot de crème fraiche recouvert d'un tissu noué ; un curieux pas de deux des flaconnages (pot d'oille et pots de confitures) ; le couteau à manche d'ivoire qui souligne la perspective dans un sens alors qu'une pelle à gâteau en argent pointe dans une autre direction ; des vases et de mystérieux contenants tapis dans l'ombre de l'office. Il existe au Musée du Louvre à  Paris une réplique de la main de Chardin datée 1763 et un peu moins contrastée que ce tableau original antérieur de 7 ans (peint en 1756)  et montré dans les collections du Musée de Carcassonne. La table d'office est le pendant de La table de cuisine qui se trouve au Boston Museum of Arts (USA).

Rappel biographique :  Jean-Baptiste-Siméon Chardin est considéré comme l'un des plus grands peintres français et européens du 18e siècle. Célèbre pour ses scènes de genre et ses pastels, il est aussi reconnu pour ses natures mortes dont il reste le maitre incontesté. D'après les frères Goncourt, c'est Coypel qui en faisant appel à Chardin pour peindre un fusil dans un tableau de chasse, lui aurait donné le goût pour les natures mortes.  A partir du Salon de 1748, Chardin expose de moins en moins de scène de genre, il multiplie désormais les natures mortes. Ce retour à  ce type de peinture va durer une vingtaine d'années. Il est difficile de donner des raisons à ce changement de cap. On sait que pendant cette période la vie de Chardin est en pleine mutation. Il se remarie, il reçoit une pension du roi. Il est désormais à l'abri du besoin. Ces deux tableaux de réception à l'Académie Royale de peinture sont tous deux des natures mortes, La Raie et Le Buffet qui se trouvent aujourd'hui au Musée du Louvre. Chardin devient ainsi peintre académicien « dans le talent des animaux et des fruits », c'est-à-dire au niveau inférieur de la hiérarchie des genres alors reconnus. Et c'est sans aucun doute Chardin qui va lui donner ses lettres de noblesse et en faire un genre pictural égal, voire même supérieur à bien des égards, aux autres. Les sujets traités sont assez diversifiés, il s'agit de gibiers, fleurs, fruits, vaisselles...
Les natures mortes qu'il peindra à partir de 1760 sont assez différentes des premières. Les sujets en sont très variés : gibier, fruits, bouquets de fleurs, pots, bocaux, verres...  Chardin semble s'intéresser davantage aux volumes et à la composition qu'à un vérisme soucieux du détail, ou aux  effets de trompe-l'œil. Les couleurs sont moins empâtées. Il est plus attentif aux reflets, à la lumière : il travaille parfois à trois tableaux à la fois devant les mêmes objets, pour capter la lumière du matin, du milieu de journée et de l'après-midi. On peut souvent parler d'impressionnisme avant la lettre.
Chardin cherchait à reproduire la matière, ces fruits semblent aussi vrais que nature, Diderot s'extasiait devant ce réalisme dans son compte-rendu du Salon de 1759 : " Vous prendriez les bouteilles par le goulot si vous aviez soif ". ou encore en 1763, " C'est la nature même; les objets sont hors de la toile et d'une vérité à tromper les yeux. (...)
 Pour regarder les tableaux des autres, il semble que j'ai besoin de me faire les yeux ; pour voir ceux de Chardin, je n'ai qu'à regarder ce que la nature m'a donné et   m'en bien servir ".
" O Chardin! ce n'est pas du blanc, du rouge, du noir que tu broies sur ta palette: c'est la substance même des objets, c'est l'air et la lumière que tu prends à la pointe de ton pinceau et que tu attaches sur la toile ".

2016 - A Still Life Collection 

Un blog de Francis Rousseau, #AStillLifeCollection, #NaturesMortes 


samedi 24 décembre 2016

Bernard Buffet (1928-1999)- Deux Tables


Bernard Buffet (1928-1999)
Deux Tables, 1949
Musée Bernard Buffet, Surugadaira, Japon

Que voit on  ?  Une nature morte d'un minimalisme, (d'un japonisme diront certains) absolu, qui met en scène deux tables et une assiette, toutes trois vides de tout contenu. Un traitement de la vacuité très maîtrisé où tout est dit en quelques lignes économes, qui se propage dans la palette même, ramassée autour d'une monochromie de jaunes et de marrons très rarement employés. Il se dégage de ce chef d'oeuvre, une force et un mystère qui ne peut quitter le spectateur longtemps après que la toile ait disparue de son regard.  Cette oeuvre présentée dans l'hommage que le MAM (Musée d'Art Moderne de la ville Paris) rend en 2016-2017 à Bernard Buffet, participe à la rehabilitation de ce peintre encore aujourd'hui injustement détesté de l'intelligentsia française, mais heureusement reconnu pour son génie partout à travers le monde et... en particulier au Japon. Doit on s'en étonner ?

Rappel biographique : Bernard Buffet est un peintre français expressionniste, qui a peint aussi bien des personnages que des figures, animaux, nus, paysages, intérieurs, natures mortes, fleurs. Aquarelliste, c'est également un peintre de décors de théâtre et un illustrateur. Il remporte le concours d’entrée de l'École nationale supérieure des beaux-arts en décembre 1943 à quinze ans, passant deux ans dans l'atelier du peintre Eugène Narbonne où il est déjà considéré comme très doué. Il s'y lie notamment d'amitié avec les peintres Maurice Boitel et Louis Vuillermoz.
En 1947, il expose L'Homme accoudé au Salon des indépendants et en décembre a lieu sa première exposition particulière présentée par Pierre Descargues, à la Librairie des impressions d'art.  On y reconnait déjà un graphisme très caractéristique qui sera tout au long de sa vie, la marque du peintre. L'État, par l'intermédiaire de Raymond Cogniat, lui fait son premier achat pour le Musée national d'art moderne de Paris avec la peinture Nature morte au poulet. En 1955, il obtient la première place au référendum organisé par la revue Connaissance des arts désignant les dix meilleurs peintres de l'après-guerre. Il peint les maquettes des décors et des costumes pour La Chambre argument de Georges Simenon qui devient son ami. Élu à l’Académie des beaux-arts au fauteuil de Paul Jouve, Bernard Buffet est alors le plus jeune académicien jamais élu sous la coupole.
En 1978, à la demande de l’administration des postes, Bernard Buffet réalise une maquette pour un timbre de trois francs L’Institut et le Pont des arts. À cette occasion le musée postal à Paris présente une exposition rétrospective de ses œuvres. Dans les années 1970-80, Bernard Buffet est un artiste au sommet de sa gloire que les critiques n'épargnent pas, comme tout artiste qui connait un grand succès de son vivant. Ils lui reprochent principalement le  " statisme " de sa touche dans laquelle ils décèlent peu d'évolutions au cours des années, le traitant volontiers de  " peintre académique ".
Au début des années 1980 son œuvre immense, est plus appréciée à l'étranger qu'en France, et principalement en Extrême Orient, aux Etats Unis, en Amérique du sud et au surtout Japon où elle connait un succès considérable et où lun musée est spécifiquement construit pour lui à Surugadaira, ce qui, à cette époque, est inédit pour un peintre vivant.
En 1986, sa femme et modèle favori, Annabel, publie D’amour et d’eau fraîche ; la même année sortent les deux premiers volumes de la monographie de Yann Le Pichon Bernard Buffet  couvrant la période 1947-1982, qui obtiennent immédiatement le Prix Élie Faure.
Bernard Buffet, diminué par la maladie de Parkinson, se suicide par asphyxie, le 4 octobre 1999, dans son atelier du Domaine de la Baume près de Tourtour (Var), étouffé dans un sac en plastique noir sur la surface duquel son nom était dessiné avec sa calligraphie si caractéristique ; dernière mise en scène un rien macabre d'un très grand artiste du 20e siècle, qui toute sa vie avait adoré mettre en scène sa propre existence. En novembre 2007, paraît le troisième et dernier volume de la monographie de Yann Le Pichon, couvrant la période de 1982 à 1999.
En 2016- 2017, le MAM (Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris), rend hommage au peintre a travers une exposition ou sont présentées toutes les acquisitions du musée  faites dans les années 47- 55 et quelques chef d'oeuvres prêtées par le musée Bernard Buffet de Surugadaira.



vendredi 23 décembre 2016

Georg Baselitz (bn.1938)


Georg Baselitz (bn 1938) 
Still life 1976-77 
MoMA

Que voit-on ?  Un nature morte aux bouteilles, verres et fruits mais... présentée à l'envers.  Dans l'esprit de Baselitz cette présentation peut incliner le spectateur à faire un effort visuel inhabituel pour recréer la composition telle qu'elle se présente dans une autre réalité que celle du peintre... sans pour autant retourner le tableau ou attraper un torticolis ! Précision : la nature morte est, elle aussi, peinte  à l'envers comme le montrent les coulées de peintures rouge en bas à droite de la composition et dans tout le bas du tableau en général.  Un dernier clin d'oeil de ce peintre dont toutes les entreprises de provocation ne se départissent jamais d'un solide sens de l'humour... et d'une excellente technique picturale ! 

Rappel biographique :  Georg Baselitz est un peintre et graveur allemand. Né en Saxe où il étudie, ce n'est que plus tard qu'il vient vivre en Allemagne de l'Ouest. Sa carrière prend son élan à la fin des années 1980, après une intervention policière contre un de ses autoportraits (Die große Nacht im Eimer), où il se dépeint en jeune garçon se masturbant. Il est aujourd'hui professeur à l'université des arts de Berlin. Plusieurs de ses toiles présentent leurs sujets à l'envers provoquant chez  le spectateur un effort d'attention.  Baselitz déconstruit la matière pour en faire émerger la vie. L'association de pigments et du façonnage des matériaux, sélectionnés pour leur couleur, leur chaire et leurs possibilités esthétiques, amène l'artiste à détourner, é perturber les formes et les volumes. Influencé par le primitivisme et l'art tribal notamment, Baselitz fait résonner l'expressionnisme allemand, auquel il se refuse d'appartenir, avec les arts premiers. "Je pense que la sculpture est un chemin plus direct que la peinture pour arriver au même résultat parce que la sculpture est plus primitive, plus brutale et moins réservée comme la peinture l'est parfois." 
En 2007, une grande rétrospective  a été consacrée a son oeuvre à la Royal Academy of Arts à Londres.

jeudi 22 décembre 2016

Adriaen Coorte (1665–1707) - Cinq coquillages sur une tranche de pierre



 


Adriaen Coorte (1665–1707) 
1. Cinq coquillages sur une tranche de pierre, 1696, Musée du Louvre
2. Six coquillages sur une tranche de pierre, 1696, Musée du Louvre

Que voit on ?  Une paire de tableaux, deux petits chefs d'oeuvres (en taille), qui représentent le côté gauche et le côté doit du même entablement de pierre dans une parfaite symétrie des cassures et de la signature. Sur les deux entablements sont présentés comme de véritables pierres précieuses, des coquillages exotiques différents, sans doute ramenés de quelques plages lointaines par les intrépides commerçants hollandais pour embellir les cabinets de curiosités que chaque " honnête homme " se devait de posséder alors. Le minimalisme de ces compositions ne déclenchèrent pas l'enthousiasme des contemporains hollandais de Coorte, habitués à des déploiements d'argenteries, de nautiles, de cristaux et de victuailles plus impressionnants. Par contre Adriaen Coorte apparait aujourd'hui d'un modernisme et d'une intemporalité qui le classe parmi les très grands maîtres du genre. 

Rappel biographique : le peintre hollandais Adriaen Coorte se spécialisa exclusivement dans la peinture de natures mortes, "le dernier au bas de l'échelle de la hierarchie des genres picturaux" d'alors. Au contraire de la tendance de l'époque en Europe du Nord qui déployait argenterie et cristaux dans les natures mortes monumentales, Coorte a peint des natures mortes de petits formats et aux sujets très intimistes pour ne pas dire minimalistes. 
On sait très peu de sa vie, si ce n'est qu'ill fut l'élève de Melchior d'Hondecoeter vers 1680 à Amsterdam et qu'il a installé son petit atelier de natures mortes à Middelburg, en 1683. Il peignait souvent sur du papier (quelquefois au dos de simples feuilles de compte) qu'il collait ou que l'on colla par la suite sur un panneau de bois ou sur un canevas pour mieux les préserver. 
Environ 80 oeuvres signées par lui ont été cataloguées, et presque toutes suivent la même composition à savoir de très petites quantités de fruits, de légumes ou coquillages, voir même quelquefois un seul fruit ou légume, posés le rebord d'une dalle de pierre, éclairé par le haut, avec le fond sombre typique de natures mortes du début du 17e siècle.
Les fraises des bois et les asperges sont ses motifs les plus fréquents. Les premières sont parfois représentées soit dans le même pot en terre cuite, soit dans de jolis bols bleus et blancs en porcelaine Wan-Li importés de Chine par la Compagnie des Indes. Quelques rares papillons brisent la noirceur de l'arrière-plan, ajoutant une tâche de couleur à ces compositions d'une magnifique austérité. Le fait qu'elle soient peintes sur du papier ajoutent à leur fragilité et à leur délicatesse infinie.  
Coorte ne fut pas très connu de ses contemporains en dehors de la petite ville de Middelburg et, comme Vermeer un siècle avant, il était totalement tombé dans l'oubli jusqu'à ce que dans les années 1950, l'historien d'art hollandais Laurens J. Bol, publie une première monographie suivie en 1977 d'un catalogue raisonné de l'oeuvre de Coorte.   


mercredi 21 décembre 2016

Jean Fautrier (1898-1964) - Nature morte aux fruits, 1924



Jean Fautrier (1898-1964)
Nature morte aux fruits, 1924
Collection privée.

Que voit-on  ?  Il s agit sans doute d'une des natures mortes les plus figuratives qu'ait peinte Jean Fautrier, dont la figuration n'était pas la préoccupation majeure. Des figues rassemblées sur un papier blanc recouvrant un plat que l'on aperçoit sous le papier. Un chef d'oeuvre de simplicité et de précision  et une prouesse de coloriste exprimée dans une monochromie presque totale,  avec une touche à là fois digne de Chardin, de Manet ou de Turner que Fautrier admirait tant, à cette époque là de sa vie.

Rappel biographique : le peintre, sculpteur et graveur  français Jean Léon Fautrier est, avec Jean Dubuffet, le plus important représentant du courant de  " l'Art Informel "  appelé aussi " Art Brut " ou   " Tachisme " . L’Art Informel regroupe à la fois le courant de l’abstraction lyrique avec ses techniques d’expressions essentiellement gestuelles, le matiérisme dont l’objet est de travailler les matières sur les surfaces de la toile, et par rapprochement, le spatialisme dont les recherches portent sur les dimensions de l’espace et du temps et sur la lumière. D’autres courants, comme le mouvement CoBrA, le Groupe Gutail’expressionnisme abstrait en Allemagnel’Action Painting de Jacskon Pollock aux Etats-Unis peuvent être rapprochés aussi de l'Art Informel.
Fautrier est aussi un pionnier de la technique des hautes pâtes.  Dès l'âge de 14 ans, il étudie l’art à la Royal Academy de Londres et  découvre les peintures de Turner qui l'impressionnent beaucoup. De retour en France, il est mobilisé en 1917. Gazé à Montdidier, il est définitivement réformé en 1921. Il expose dès 1921 des natures mortes et des portraits. En 1923, il rencontre Jeanne Castel, avec laquelle il vivra un certain temps. En 1924, première exposition personnelle et premières ventes ; l’année suivante, le marchand d’art Paul Guillaume lui achète quelques tableaux. C’est avec ce même Paul Guillaume que Fautrier passe un contrat d’exclusivité en 1927. Jusqu'en 1933 il se partage entre sculpture, peinture et gravures. Il réalise notamment des gravures pour l'édition illustrée de l'Enfer de Dante préparée par Gallimard, projet qui n'aboutira pas. Quelques unes de ses peintures sont exposées en 1945 à la Galerie Drouin, suscitant une vive admiration de l'intelligentsia parisienne. Le catalogue de l'exposition était préfacé par André Malraux. Dans les années qui suivent, Fautrier travaille à l'illustration de plusieurs ouvrages, parmi lesquels L'Alleluiah de Georges Bataille et enchaîne sur une série consacrée aux petits objets familiers. En 1950, il invente avec sa compagne,  Jeanine Aeply, un procédé complexe mêlant reproduction chalcographique et peinture, qui permet de tirer ses œuvres à plusieurs exemplaires, pour obtenir ce qu’ils appelleront des « originaux multiples ».
Jean Fautrier reste, au delà des modes et des mouvements, un très grand peintre français, injustement oublié dans ce début de 21e siècle.

mardi 20 décembre 2016

Alfred Sisley (1839-1899)




Alfred Sisley (1839-1899)
Nature morte aux pommes, 1868
Muskegon Museum of Art, Michigan

Que voit on ?  Sur un entablement d'un jaune d'autant plus lumineux que le fond de la toile est sombre : trois magnifiques pommes entières et une dont a coupé un quartier. Sisley n'étant pas un familier des codes de la nature morte, il emploie ici le couteau pour ce qu'il est en réalité, c'est à dire un instrument tranchant qui permet de couper la pomme en quartiers et non uniquement comme un accessoire esthétique servant à souligner la perspective (bien qu'il l'utilise aussi ainsi dans cette toile). Les somptueuses couleurs d'été et l'exceptionnelle luminosité de cette petite morte - où le blanc éclate sous la forme d'un coeur sur la droite du cadre -  nous font réellement regretter que Sisley en ait peint si peu.

Rappel Biographique :   Le peintre franco anglais Alfred Sisley,  fut un peintre et graveur de nationalité britannique mais ayant principalement vécu et travaillé en France. Il est l'un des représentants les plus célèbres du mouvement Impressionniste. On connait 960 huiles sur toile, 100 pastels et de nombreux autres dessins, produits par Sisley bien qu'il n'eût vécu que 59 ans. Peu de natures mortes dans ses oeuvres et un nombre impressionnant de faux Sisley posthumes (sans doute un record dans le genre) à son actif, présents jusque dans certains grands musées de monde, en cours de purge !  А côté de ces faux, des œuvres réalisées par sa fille Jeanne, vers 1895, portent légitimement la signature Sisley.
Sisley est aujourd’hui considéré comme l’incarnation même de l'impressionnisme. L’essentiel de son inspiration est le paysage. Les personnages dans ses peintures ne sont que des silhouettes. Les portraits de ses proches (femme et enfants) et les quelques natures mortes qu'il a peintes sont rares.
Selon Gustave Geffroy, l’un de ses premiers historiographes, Sisley vouait en effet un amour instinctif au paysage. Pour lui il n’y avait dans la nature rien de laid dès lors qu’il s’agissait du rapport entre le ciel et la terre. Sisley écrivit : « Toutes les choses respirent et s’épanouissent dans une riche et féconde atmosphère qui distribue et équilibre la lumière, établit l’harmonie ».
Sisley choisit inlassablement pour sujet de ses toiles le ciel et l’eau animés par les reflets changeants de la lumière dans ses paysages des environs de Paris, la région de Louveciennes et de Marly-le-Roi. La région de Moret-sur-Loing eut notamment une incidence toute particulière sur l'œuvre de Sisley, comme en témoigne Un soir à MoretFin d'octobre, peint en 1888. Il s’inscrit dans la lignée de Constable, Bonington et Turner. S’il subit l’influence de Monet, il s’éloigne de son ami par sa volonté de construction qui lui fait respecter la structure des formes.
Dans certains des tableaux d'Alfred Sisley, on peut percevoir une influence marquée par l'art japonais. et l'on peut s'amuser a rapprocher pour comparaison des toiles telles que  La Place du Chenil à Marly, effet de neige peinte par Sisley de Nuit de neige à Kambara peinte par Hiroshige. Les perspectives de ses tableaux montrent l'influence d'Hokusai dont il découvrit les estampes grâce а Claude Monet. 

lundi 19 décembre 2016

Olivier Debré (1920-1999)



Olivier Debré  (1920-1999)
Nature morte à la bouteille de vin, 1943
Collection Privée

 Que voit-on  ?  Sur un entablement qui représente un rebord de fenêtre en briques : une besace de voyage de toile grossière et sombre sur laquelle est posée ce qui semble être un livre ouvert ou une carte routière ou un carnet.  Echappées de la besace : quelques pommes de terre très grises, une verre à moitié plein de vin rouge d'un belle couleur bordeaux et une bouteille sombre dont la forme hésite à dessein entre celles d'un vin de bourgogne et celle d'un vin du bordelais. Deux tâches oranges complètent l'histoire en laissant penser que du vin a été renversé sur la brique à moins qu'il ne s'agisse d'épluchures de fruits, chacun restant libre d'écrire l'histoire selon les étapes de son propre voyage intérieur. Olivier Debré a peint peu de natures mortes. Celle ci, réalisée dans des couleurs très sourdes, est déjà un avant goût de la palette qu'il utilisera dans le années 50.

Rappel biographique :  Le peintre français Olivier Debré est un  représentant majeur du courant de  l’Abstraction lyrique. Fls du professeur Robert Debré, le frère de Michel Debré (Premier ministre du Général de Gaulle) et l'oncle de Bernard Debré et de Jean-Louis Debré, il fut le seul artiste d'une famille qui compte surtout des hommes politiques et des médecins. En juin 1937, il subit un choc en voyant, exposé au Pavillon de l’Espagne de l’Exposition internationale à Paris, le Guernica de Picasso. Georges Aubry, dont la galerie est située rue de Seine à Paris, l'encourage en l'exposant le premier. Il est remarqué par Dunoyer de Segonzac et Picasso qu'il rencontrera en 1941, ce dernier l’invitant dans son atelier  rue des Grands-Augustins pendant l’hiver 1942-1943. C'est а cette époque que Georges Aubry expose ses premières toiles abstraites.
Durant la Seconde Guerre mondiale, son art est marqué par l'expression graphique. Le dessin lui permet de traduire toute l'horreur de la guerre : Le Mort de Dachau, Le Sourire sadique du Nazi, Le Mort et son âme. En 1946, il installe un atelier à Cachan, il y peint une toile de 8 m de long : La Vérité et la Justice poursuivant le crime.
En 1949, il présente sa première exposition personnelle à la galerie Bing, à Paris, marchand de Soutine et de Modigliani. А l'automne, Olivier Debré installe un second atelier rue de Saint Simon à Paris et  fait la connaissance de ses grands aînés:  Hans Hartung, Gérard Schneider, Serge Poliakoff, Maria Elena Vieira da Silva. Il réalise ses premiers Signes-personnages.
Dans les années 1950, privilégiant la matière et les couleurs sourdes, Olivier Debré expose à New York а la Perspective gallery. Il est invité au Salon de Mai auquel il participera jusqu'à sa mort. En 1951, la librairie-galerie La Hune présente pour la première fois ses gravures. L'année suivante, il participe à son premier Salon d'Octobre qui regroupe les peintres les plus significatifs de l'art non figuratif et abstrait.
1953 correspond à une période charnière dans son œuvre où il délaisse les signes-personnages pour les signes-paysages. C'est à cette époque qu'il prend conscience des possibilités multiples offertes par la technique de la lithographie qu'il n'a jamais cessé de pratiquer. En 1956, Michel Warren organise sa première exposition individuelle à Paris. L'année suivante, la seconde exposition chez Michel Warren le fait figurer « désormais en bonne place parmi les chefs de file de l'Ecole de Paris », écrit John Prossot dans Apollo dont la couverture reproduit le tableau exposé. Après un voyage en Espagne, il expose, en 1959, а la Phillips Gallery а Washington et rencontre Rothko.
Le temps de la maturité correspond aux grandes réalisations pour des commandes et à la reconnaissance internationale. Ainsi, 1965 il participe à de nombreuses expositions itinérantes en Amérique latine et en Europe de l'Est. Da première exposition personnelle à Oslo se tient а la galerie Haaken A.Christensen en 1966. Il voyagera et peindra en Norvège jusqu'à la fin de sa vie.  En 1967, il participe à l'exposition internationale de Montréal avec une gigantesque peinture  Signe d'homme, pour le pavillon français.  En 1975-1976, il fait partie, avec Pierre Alechinsky, Hans Hartung,  Roberto Matta, Zoran Music, Edouard Pignon et Pierre Soulages, de l'exposition itinérante en France Trente créateurs organisée par André Parinaud.
De 1980 а 1985, Olivier Debré est nommé professeur, chef d'atelier de peinture murale а l'Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Paris. La consécration du peintre est également marquée par l'inauguration d'une salle Olivier Debré au Musйe des beaux-arts de Tours en 1992.  Une rétrospective de ses œuvres a lieu en 1995 à la galerie nationale du Jeu de Paume а Paris. L'année suivante, c'est la première а l'Opéra Bastille du spectacle Signes avec des décors et des costumes qu'il signe et dont Carolyn Carlson fait la chorégraphie. En 1998, il réalise le rideau de scène de l'Opéra de Shanghai. Le 17 mars 1999, quelques mois avant sa mort en juin, il est élu membre de l'Institut de France, à l'Académie des beaux-arts, au fauteuil précédemment occupé par le peintre Georges Cheyssac.
En 2015, le CCC - Centre de Création Contemporaine de Tours est devenu le "Centre de Création contemporaine Olivier Debré". Il s'implante en 2016 dans un nouveau bâtiment actuellement en construction sur le site du jardin François 1er. Le lieu ne sera pas un musée consacré à Olivier Debré mais un centre d'art qui fera vivre l’œuvre du peintre en la mettant en résonance avec la création artistique contemporaine.


dimanche 18 décembre 2016

Paul Rebeyrolle (1926-2005) - Grand étal à Tana


Paul Rebeyrolle (1926-2005)  
Grand étal à Tana  (2000)
Collection privée 

Que voit-on ? Sur trois entablements (rouge, jaune et beige)  qui se chevauchent les uns les autres à la façon des étals de marché dressés de bric et de broc, divers fruits, légumes et viandes composant un nature morte peut être saisis sous des latitudes exotiques. Des bananes (jaunes) sur la table rouge ; des pastèques (rouge) sur la table jaune ; des viandes difficiles à identifier et présentées carcasses béantes ;  des poissons aussi peut être, ouverts et présentés à "l'appétit" des ménagères de passages.   Toute la partie supérieure du tableau est occupée par une grande peinture presque abstraite en deux panneaux, l'un plutôt noir et l'autre bleu et blanc pouvant laisser penser que la mer n'est pas loin... Ces abstractions - qui n'en sont pas -  figurent soit un paysage de fond, soit des portes de boutiques entr'ouvertes, les deux grands panneaux permettant à eux seuls, plusieurs lecture de "l'histoire" que se propose de raconter cette nature morte.  

Rappel biographique :  Le peintre français Paul Rebeyrolle fut aussi lithographe et sculpteur. Rattaché au courant de la Nouvelle figuration, on le définissait volontiers comme  expressionniste et matiériste. Son œuvre, immense, toujours figurative, est marquée par la violence, la rage, la révolte face à l'oppression ou l'engagement politique. Elle est ponctuée de tableaux animaliers et paysagers, ainsi que de tableaux employant des matières collées sur la toile (terre, crin, ferraille...) et de quelques natures mortes qui n'en portent cependant jamais clairement le titre. 
Peu médiatisée de son vivant, méconnue du grand public ainsi que de certaines institutions, cette œuvre a néanmoins été appréciée par des personnalités tels que  Jean-Paul Sartre ou Michel Foucault ainsi que par certains collectionneurs, dont François Pinault.
L'enfance de Paul Rebeyrolle  fut marquée par une tuberculose osseuse, l'obligeant à de longs moments d'immobilité. Il étudie à Limoges avant de rejoindre Paris à la Libération. Il découvre alors les peintres contemporains ainsi que la peinture classique au musée du Louvre. Il est un acteur engagé du Manifeste de l'homme témoin qui, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, prône autour du critique d'art Jean Bouret un retour au réalisme contre les tendances de l'art contemporain. Il participe ainsi le 21 juin 1948 à la Galerie du Bac à l'exposition de « L'homme témoin » (avec Bernard Lorjou, Yvonne Mottet, Michel Thompson, Bernard Buffet  et Michel de Gallard). Ce groupe de L'homme témoin sera fondateur du Mouvement de la Jeune Peinture.
En 1949, Paul Rebeyrolle fut même  à l'origine du « Salon de la Jeune Peinture » dont la première édition se tint le 26 janvier 1950 à la Galerie des beaux-arts avec Denys Chevalier, Pierre Descargues, Philippe Cara Costea et Gaëtan de Rosnay,
Membre du parti communiste français à partir de 1953, Rebeyrolle rompt avec ce dernier en 1956 lors de l'invasion russe en Hongrie et du fait de la duplicité du Parti face à la guerre d'Algérie.
À cette occasion, il peint un grand tableau intitulé À bientôt j'espère.
En 1959, à 33 ans, il exécute un grand tableau qu'il intitule Planchemouton, commandé par le comité de la première Biennale de Paris, pour orner l'escalier du Palais des Beaux-arts. En 1963, il quitte Paris et s'installe à la campagne pour y vivre et y travailler, d'abord dans l'Aube puis en Côte d'Or ou il restera jusqu'à sa mort en 2000. Plusieurs retrospectives lui ont été consacrée dans sa carrière dont une en 1979 au Grand Palais (Paris), une en  2000 à la  Fondation Maeght (Saint-Paul-de-Vence),
et une 2015, Rebeyrolle vivant ! - 60 ans d'une oeuvre essentielle », à Espace Rebeyrolle (Eymoutiers).
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2016 - A Still Life Collection 
Un blog de Francis Rousseau 


samedi 17 décembre 2016

Maria Blanchard (1881-1932)



Maria Blanchard (1881-1932)
Nature morte aux bananes
Centre Pompidou, Paris

Que voit on ?  Sur une table de cuisine en bois dont le coin supérieur droit est occupé par deux planches à découper : un casse-croûte posé sur une serviette blanche dont les plis très visibles forment un relief quasiment montagneux. Sur ce relief sont disposés trois bananes ; une assiette en porcelaine blanche contenant deux pommes, du raisin et le traditionnel couteau en clin d'oeil aux natures mortes de l'âge d'or ; un cruche à eau en porcelaine d'un beau vert céladon.  Un sommet du genre dans l'art d'harmoniser les couleurs.

Rappel biographique : La peintre espagnole María Gutierrez Cueto y Blanchard, plus connue sous le nom de Maria Blanchard, est handicapée dès sa naissance par une très lourde difformité physique, provoquée par une chute de sa mère enceinte. C'est un handicap dont elle souffrira jusqu'à sa mort.  En 1902 avec l'aide de sa famille, elle s'installe à Madrid pou suivre des études de peinture avec notamment Emilio Sala Francés (1850-1910), Fernando Alvarez de Sotomayor (1875-1960) et Manuel Benedito Vives (1875-1963). Après la mort de son père en 1904, sa mère et ses quatre frères la rejoignent à Madrid. En 1909, María Blanchard obtient une bourse pour poursuivre sa formation à Paris. Elle travaille alors auprès du peintre espagnol Hermen Anglada-Camarasa (1871-1959) et de Kees van Dongen. Rentrée à Madrid en 1913, elle partage un moment un atelier avec Diego Rivera, et fait en 1914 la connaissance de Jacques Lipchitz.
Professeur de dessin durant quelques mois à Salamanque, elle peint en 1916 ses premières compositions cubistes et décide cette même année de s'installer définitivement à Paris où elle se fait remarquer par la façon originale dont elle développe l’esthétique cubiste. Maria Blanchard donne en effet à la figure humaine une place inhabituelle dans le cubisme classique.  C'est alors qu'elle se lie d'un profonde amitié avec Juan Gris et André Lhote, faisant un moment partie des peintres soutenus par Léonce Rosenberg dans sa galerie L'Effort Moderne.  À partir de 1920, María Blanchard délaisse le cubisme revient à la figuration.  Avec le décès en 1925 du mécène belge Frank Flaush qui lui assure un contrat et  le décès en 1926 de Juan Gris, Maria Blanchard traverse de longues périodes de problèmes économiques, aggravés par la charge de sa sœur et de ses enfants.
En 1927, elle s'engage dans une crise mystique qui lui fait songer à entrer dans un couvent mais elle en est dissuadée par son confesseur.
Surtout intéressée par la représentation de la figure humaine, elle a cependant peint plusieurs natures mortes, souvent très proches de celles de Juan Gris dans leur composition mais radicalement opposées du point de vue de la palette de couleurs. Son oeuvre est aujourd'hui comme une des plus importantes de la premiere moitié du 20e siècle et elle est présente dans les collections des plus grands musées d'art moderne de la planète. 

vendredi 16 décembre 2016

Jean Lurçat (1892-1966) - Nature morte à la guitare et au plat au coq


Jean Lurçat (1892-1966)  
Nature morte à la guitare et au plat au coq
(carton de tapisserie) 
Collection privée.

Que voit on ? Posés sur un guéridon à peine esquissé, recouvert d'un tissu imprimé d'inspiration espagnole ou portugaise, un guitare classique à cinq cordes, traitée dans le goût cubiste de Braque, de Picasso ou de Juan Gris qui traitèrent tous trois beaucoup ce thème. Sur le tissu imprimé, on aperçoit aussi deux citrons fermés et un plat en céramique à motif de coq très inspiré des céramiques de Vallauris que Picasso produisit avec générosité pendant les années 50-60 et qui furent extrêmement copiées (pas toujours avec bonheur d'ailleurs!).  Ce plat au coq repose sur une partition de musique dont on aperçoit seulement les portées.

Rappel biographique : Le peintre, céramiste et créateur de tapisseries monumentales français, Jean Lurçat doit principalement sa notoriété à ses travaux de tapisserie dont il rénova en profondeur le langage. Après des études dans l'atelier de Victor Prouvé, le chef de l'Ecole de NancyJean Lurçat s'installe à Paris où  s'inscrit à  l'Académie Colarossi puis à l'atelier du graveur Bernard Naudin. Il découvre alors Matisse ,Cézanne, Renoir. Il devient ensuite apprenti auprès du peintre fresquiste Jean-Paul Lafitte avec lequel il mène, en 1914, un premier chantier à la Faculté des sciences de Marseille. 
En 1917, Jean Lurçat fait exécuter par sa mère, ses premiers canevas : Filles vertes et Soirées dans Grenade. Dès la fin de la guerre, en 1918, il revient en Italie où il passe, en 1919 des vacances en compagnie de Rilke, Busoni,  Hermann Hesse et Jeanne Bucher. Sa deuxième exposition se tient à Zurich cette année-là.
En 1920, il s'installe à Paris avec Marthe Hennebert qui avait été, à partir de 1911, la muse de Rainer Maria Rilke. C'est elle qui tisse au petit point deux tapisseries : Pêcheur et Piscine. Il expose cette année-là au Salon des indépendants deux tapisseries et quatre toiles. En 1927,  il décore le salon de la famille David Weill  : il s'agit de quatre tapisseries au petit point et réalise L'Orage pour Georges Salles (Musée d'art moderne de Paris). En 1928. il fait sa  première exposition à  New York. 
En 1930, il expose à Paris, Londres, New-York,  Chicago.
En juillet 1937, à Angers la vision de L'Apocalypse (14e siècle) provoque chez lui un choc esthétique et artistique annonciateur de l'œuvre à venir. En 1938, Moisson (2,75 × 5,50 m) est tissée chez Tabard. La manufacture de Beauvais tisse les tapisseries pour quatre fauteuils, un divan et un paravent destinés à accompagner la tenture d'Icare. En 1939, il expose à New-York et Paris. 
En septembre, il s'installe à Aubusson avec  Gromaire et Dubreuil pour essayer de redonner vie à la tapisserie qui, à l'époque, subit une grave crise. Il met au point un nouveau langage technique : carton numéroté, palette réduite, tissage robuste à large point. Et désormais, il abandonne le travail à l'huile au profit de la gouache.
En 1944, ses tapisseries sont exposées à Paris et ses peintures à New-York.
Comblé d'honneur et au fait de la gloire, Jean Lurçat meurt subitement en janvier 1966 à  Saint-Paul de Vence où il réside.  Sur sa tombe un soleil gravé dans la pierre avec une devise : « C'est l'aube ». Ces deux mots sont le début de la phrase, écrite par lui, qu'il avait fait graver sur son épée d'académicien : « C'est l'aube d'un temps nouveau où l'homme ne sera plus un loup pour l'homme… ». 
Cette aube tarde à venir, semblerait il !

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2016- A Still Life Collection 
Un blog de Francis Rousseau 

jeudi 15 décembre 2016

Pierre Tal Coat (1905-1985) - Insecte



Pierre Tal Coat (1905-1985)
Insecte, 1972,
Collection Privée

Que voit on ? Un insecte peu identifiable sinon qu'il a deux antennes, un dard et une patte. S'agit-il d'un moustique ? d'une guêpe ?  Peu importe. La question de avoir si un insecte peut être considéré comme une nature morte est celle qu'a voulu évoquer Tal Coat avec cette gouache. Les insectes ont pourtant une histoire commune de près de 20 siècles avec les natures mortes, lesquelles grouillent dès l'Antiquité romaine et au 16e, 17e et 18e siècle de mouches, des moustiques, des poux ou des mites ou des moisissures s'attaquant aux fruits et aux légumes. Les Hollandais en plein âge d'or de la nature morte posèrent ainsi la règle de l'insecte utilisé comme symbole de la corruption de la matière, de la brièveté et de la beauté et de la vie. Une règle que les Romains de l'Antiquité avaient été les premiers à inventer. Les insectes sont donc ainsi une partie intrinsèque (sans mauvais jeu de mots) du memento mori que constitue toute nature morte. Au 19e siècle, la pasteurisation, les progrès de la science et l'hygiénisme expurgent les insectes des nature mortes : un belle nature morte ne saurait contenir d'insectes, symbolisant ainsi l'immortalité possible de l'homme, l'éternité  potentielle de la matière vivante ! Illusion que le 20e siècle s'empresse de détruire de même que le mythe du scientisme tout puissant. Les insectes reviennent alors peu à peu, d'abord, chez Dali et Magritte, puis chez Balthus, ou de façon plus surprenante ici chez Tal Coat, et jusque dans des oeuvres d'art video de la fin du siècle comme celle de Sam Taylor qui sera bientôt publié dans ce blog.

Rappel biographique : Le peintre, graveur et illustrateur français Pierre Tal Coat (pseudonyme de Pierre Jacob pour éviter l'homonymie avec Max Jacob quimpérois comme lui), apparenté au mouvement de l'École de Paris Avec les artistes de ce mouvement, il exposa régulièrement à  la Galerie de France (de 1943 а 1965), dans les  galeries Maeght (de 1954 а 1974), Benador (de 1970 à 1980) puis à  la galerie H-Met , la galerie Clivages. En 1956, seize de ses peintures furent présentées à la Biennale de Venise. Aux côtés de Joan Miro et de Raoul Ubac, il collabore en 1963 aux réalisations pour la Fondation Maeght de Saint-Paul de Vence d'une mosaïque pour le mur d'entrée.
En 1968 le Grand Prix national des arts.
Une grande exposition rétrospective lui fut consacrée au Grand Palais à Paris en 1976.
А partir de 1961, Tal Coat s'installа  à la Chartreuse de Dormont  près de Vernon (Eure), où il finira sa vie. Tal Coat a illustré de nombreux livres d'art avec des gouaches, dessins, pointes sèches ou aquatintes, notamment de nombreux ouvrages d'André du Bouchet, Pierre Schneider, Pierre Torreilles, Philippe Jaccottet, Claude Esteban , Maurice Blanchot, Pierre Lecuire, Jacques Chessex...
Tal Coat a peint une série importante de natures mortes, toutes réalisées en 1942, en pleine guerre, alors qu'il se trouvait réfugié à Aix-en-Provence. De toutes ces peintures très dépouillées et exécutées avec une grande économie de moyens, il se dégage une grande force.

mercredi 14 décembre 2016

Maurice Denis (1870-1943)


Maurice Denis  (1870-1943)
Nature morte aux pommes, 1889 
Musée Maurice Denis, St Germain en Laye, France 


Que voit on ? Voici une des très rares natures mortes de Maurice Denis, puisqu'elles ne se comptent même pas sur les doigts d'une seule main.  Que l'on aime ou que l'on déteste ce peintre, il faut bien avouer que cette nature morte dans sa simplicité et sa luminosité a quelque chose qui transcende le contenu de la toile. Elle date de l'année même de la création du mouvement Nabi. Deux pommes et une cruche à eau sur une nappe blanche, devant un fond noir... rien de plus simple, à ceci près que la nappe blanche - bien que peinte sur l'enduit - semble faire corps avec la matière même de la toile et que les pommes semblent vivantes. A la vue de ce petit chef d'oeuvre, on ne peut que regretter que ce peintre ne soit pas exprimé plus à travers le genre de la nature morte. 

Rappel biographique : Après des études au lycée Condorcet où il rencontre Édouard Vuillard et Paul Sérusier, Maurice Denis se forme en fréquentant le musée du Louvre où les œuvres de Fra Angelico déterminent sa vocation de peintre chrétien, marquée ensuite par la découverte de Pierre Puvis de Chavannes. Il étudie simultanément à l’École des beaux-arts et à l’Académie Julian en 1888 mais il quitte rapidement la première, la jugeant trop académique. Il rencontre cette même année Paul Sérusier qui lui offre son tableau, Le Talisman. Il fonde avec ce dernier le groupe des nabis et en devient le théoricien. Détachés ou non du christianisme, les Nabis cherchent des voies spirituelles au contact de philosophies et de doctrines teintées d’Orient, d’orphisme et d’ésotérisme. En 1892, au Salon des indépendants, il présente un tableau énigmatique, Mystère (Matin) de Pâques, signé en bas à droite du monogramme « Maud » qui ajoute encore au mystère de l’œuvre.
Denis découvre la peinture de Paul Gauguin, dont l’influence sera déterminante pour la suite de son œuvre, lors de l’Exposition universelle de 1889. Il acquiert d’ailleurs l’une de ses peintures en 1903, l'Autoportrait au Christ jaune (Paris, musée d'Orsay).
D’abord symboliste et synthétique, sa peinture s’oriente ensuite vers un classicisme renouvelé. Les thèmes religieux, les scènes intimistes et familiales, les paysages d’Italie et de Bretagne sont très présents dans l’œuvre de Denis, qui, outre des tableaux de chevalet, comporte de nombreux décors muraux, des vitraux, des illustrations de livres et extrêmement peu de natures mortes.
Politiquement, Maurice Denis est proche de l'Action française, mouvement royaliste, qu'il quitte après la condamnation du mouvement par Rome. Lorsqu'éclate l'affaire Dreyfus, à la fin du 19e siècle, il fait partie, comme les peintres Edgar Degas, Auguste Renoir ou Jean-Louis Forain, des artistes antidreyfusards et antisémites. En 1941, sous le régime de Vichy, il est nommé membre du Comité d'organisation professionnelle des arts graphiques et plastiques. Il meurt le 13 novembre 1943, renversé par un camion, ce qui lui évitera d'être jugé pour collaboration avec l'ennemi à la fin de la guerre.
A Saint-Germain-en-Laye, où il a passé toute sa vie, Maurice Denis achèta en 1914 l’ancien hôpital construit sous Louis XIV pour y installer sa famille et son atelier, une demeure d’artiste aujourd’hui devenue le musée qui porte son nom.



mardi 13 décembre 2016

Bernard Lorjou (1908-1986) - Nature morte aux fruits


Bernard Lorjou (1908-1986) Nature morte aux fruits Collection privée


Bernard Lorjou (1908-1986)
Nature morte aux fruits
Collection privée

Que voit on ?  Posé sur un entablement  jaune et noir, devant un fond sombre où domine le bleu, un grand compotier rempli de 3 fruits (pommes?) occupe toute la hauteur de la composition alors qu'un petit saladier noir contenant une pomme rouge et une orange (ou une pêche ?) occupe la partie gauche, comme souligné par le revêtement jaune et noire de la table.  Un "colorisme" forcené et peut être décoratif mais qui n'empêche pas cette nature de transporter quelque chose de mystérieux et de mélancolique.

Rappel biographique :  Bernard Lorjou est un peintre français qui a bénéficié de son vivant d'une importante notoriété et qui a été totalement oublié depuis son décès. Tant mieux diront certains ! Pendant les années 1950, il est, avec Bernard Buffet, Jean Carzou et Alfred Manessier l'un des peintres français les plus cités et les plus célèbres d'alors. Dans les années 1920, alors qu'il fréquente les anarchistes du Libertaire, il découvre l'oeuvre d'Edouard Manet et veut devenir peintre. En 1925, il entre à l'atelier de dessin François Ducharne, où il devient maquettiste et dessinateur en soierie. Plus tard, ses créations dans ce domaine habillent des célébrités comme la duchesse de Windsor ou Marlène Dietrich. Puis sans en avoir jamais suivi de cours  de beaux arts pour apprendre son métier ou même l'histoire de l'art, il  devient peintre de façon autodidacte et il fonde le mouvement anti-abstrait « L'Homme témoin de son temps ». La première exposition du groupe a lieu а Paris en 1948. La même année, il partage avec Bernard Buffet le Prix de la critique. Ce dernier participe à la seconde exposition de l'Homme témoin en 1949. La troisième et dernière a lieu en novembre 1962 devant une assistance très clairsemée. En 1953, il rencontre Domenica Walter-Guillaume qui le met en relation avec le marchand d'art Georges Wildenstein,  Edgar Faure, Arthur Honegger et d'autres personnalités très influentes dans ces années là.
Farouche adversaire de l'art abstrait, Lorjou le qualifia dans une lettre ouverte au président de la République de façon pour le moins"  réactionnaire" « d'imbécile, apatride, vide, art de dégénéré… devenu par la volonté de votre ministre de la Culture, l'ART officiel français ». Le ministre en question n'était autre qu'André Malraux qui n'apprécia  que très moyennement !
 Personnage irascible, fantasque, et peu sympathique,  Lorjou fait circuler en 1977 une pétition pour la défense de l'Art français et contre le Centre Beaubourg qu'il n'hésite pas à qualifier de Centre de Merde parce qu'il représente pour lui cet art officiel qu'il exècre particulièrement.
D'un style onirique figuratif, il est souvent considéré par la critique comme un expressionniste tardif. Artiste autodidacte, il s'était  définit lui-même comme « la bête noire » des conservateurs de musées. Ses excès langagiers et sa pensée souvent aigre lui garantissent un purgatoire qui durera longtemps !

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2016 - A Still Life Collection
Un blog de Francis Rousseau


lundi 12 décembre 2016

Roger Fenton (1819-1869)



Roger Fenton (1819-1869)
Nature morte aux fruits, fleurs  et passementerie
Private collection

Que voit on  ? Ce que décrit le titre dans une accumulation presque surréaliste de matériaux ou lys, tête d'ananas, corps de citrouille, pêches, dentelle de Calais, raisins et tartans écossais se mêlent sur un guéridon d'acajou recouvert d'une passementerie d'époque Victorienne exhibée avec beaucoup de précision au premier plan. Un chef d'oeuvre datant des tous premiers essais de l'art photographique dans lequel excellait Roger Fenton en opposant ainsi des matières et des textures très variées, à même de prouver au spectateur la grande précision du rendu dont ce nouveau medium était capable.

Rappel biographique : Le photographe anglais Roger Fenton fut un pionnier de la photographie comme photographe de guerre, notamment puisqu'il fut le premier à  photographier la Guerre de Crimée (1853-1856). Il fonda en 1853 la Royal Photographic Society et en 1854 commença à faire des portraits pour la famille royale anglaise. Il est toujours secrétaire honoraire de la Royal Photographic Society lorsqu'il obtient le titre et la mission de photographe officiel de la Guerre de Crimée. À son retour en Angleterre, ses images sont célèbres et il est reçu par la Reine Victoria. Ses photos sont exposées à Londres et à Paris et des gravures sur bois réalisées dont  les plus remarquables sont publiées dans le Illustrated London News.
Jusqu'en 1862, il poursuit une carrière de photographe de paysages et d'architecture et aussi de natures mortes, genre pour lequel il fut  aussi - dans le domaine de la photographie - un pionnier.  

dimanche 11 décembre 2016

Martial Raysse (bn. 1936)



Martial Raysse (bn. 1936) 
Still life 
Collection privée. 

Que voit on ? Une représentation de nature morte prise dans une superposition pour ne pas dire un enchevêtrement de plusieurs plans gris. La nature morte y apparait comme mise en avant sur un fond bicolore dont jaillit un cageot en plastique rouge, comme ceux que les agriculteurs emploient pour les récoltes ou ceux dans lesquels les grandes surfaces stockent leurs fruits et légumes. Le cageot est rempli de raisins, oranges et poires... peintes à la bombe.  

Rappel biographique : Martial Raysse est un peintre, sculpteur et réalisateur français né en 1936.
À partir de 1959, il utilise toutes sortes de matériaux et de techniques : plastique, plexiglas, néon, miroir, peinture, lumières artificielles, objets, photographies, photocopies, flocage, découpage, assemblage, report, montage, agrandissement.... Il préfère toutefois utiliser des objets neufs et non de récupération, contrairement aux autres artistes du mouvement Nouveaux réalistes.
Sa série des Tableaux-objets met en scène l'image à la fois sensuelle et artificielle de la société de consommation, dans des couleurs acidulées. Les couleurs sont souvent projetées au vaporisateur ou à la bombe.
En 1962, Raysse introduit le néon dans ses toiles pour souligner certaines formes, la bouche, les yeux. « J'ai découvert le néon. C'est la couleur vivante, une couleur par delà la couleur. » L'artiste adopte une démarche de réduction des moyens plastiques et de simplification de la représentation à la fin des années 1960. La représentation des formes est progressivement simplifiée et se réduit à des silhouettes d'une tête avec épaules, découpées dans du carton, du papier, du tissu pour donner naissance à des formes en liberté proches de l'Arte Povera.
De 1963 à 1965, il réalise une série qu'il intitule ironiquement Made in Japan. Cet ensemble comporte une quinzaine d'œuvres, dont le but est de détourner des tableaux célèbres, principalement d'Ingres, avec lequel Raysse dialogue très librement. La version d'après La Grande Odalisque, conservée par le Musée national d'Art moderne, en est un exemple emblématique.
On retiendra également dans la même optique de travail la toile Soudain l'été dernier de 1963 ou la sculpture America America (1964, Paris, Musée national d'Art moderne), où l'utilisation du néon comme cliché renvoyant à l'univers de la publicité est caractéristique du discours de cet artiste.
En 2001, Raysse réalise ses premiers vitraux, en collaboration avec l'atelier de Jean-Dominique Fleury à Toulouse, pour l'église Notre-Dame de l'Arche d'Alliance à Paris, conçue par Architecture-studio. Les couleurs vives des deux panneaux se faisant face de 25 m² chacun, sur les thèmes de la Visitation et de David dansant devant l'Arche, témoignent d'une certaine continuité avec l'œuvre pop de ses débuts. Raysse a peint peu de natures mortes.
Raysse a aussi réalisé plusieurs films, dont un long métrage, Le Grand Départ en 1972, des courts métrages, des vidéos autonomes ou dans le cadre d'installations. En 2005, il réalise la façade au néon d'un cinéma multiplexe parisien. En 2014  une retrospectives de ses oeuvres réalisées entre 1960 et 2014 a eut lieu au Centre Pompidou à Paris.