John Bratby (1928-1992)
Still Life With Chip Frier (1954)
Tate Gallery, London
Que voit-on ? Une table partiellement recouverte de sets de tables et entourée de trois chaises en paille, vides d'occupants. Sur la table, comme d'habitude chez Bratby, une multitude d'objets et d'ustensiles de cuisine disparates et sales (plus d'un quarantaine ici ! ), répartis sur la table et jusque sur le dossier de la chaise qui se trouve au premier plan où s'accroche la passoire de la poêle à frire qui donne son nom à cette nature morte. Seulement trois bouteilles de vin (vides bien entendu) ce qui est très peu, comparé à d'autres compositions du même peintre ! Beaucoup de bocaux vides, de même qu'une théière en argent et son plateau qui donnent au peintre l'opportunité de montrer que dans ce désordre colossal, il continue de maîtriser reflets et transparences à l'instar des maîtres anciens ! Des boîtes aussi, dont une en carton contenant des cornflakes, une autre contenant du sel et une boîte en fer contenant du thé (en bas à droite). Des ustensiles de cuisine disparates, sans doute en attente de lavage, s'empilent dans une passoire à pâtes, entre les cornflakes et une bouteille de vin. Ailleurs sur la table : des petits ciseaux, une boule à thé, une passoire à thé, des petites bouteilles d'huile et de vinaigre, un pot de moutarde, des flacons vides ayant contenu des sauces type Worcester sauce ou Ketchup, un petit flacon de pilules. A droite d'une des chaises, celle du haut, à peine perceptible sur le plancher, git un chien vu en plongée mais très disproportionné par rapport à l'ensemble ; il semble que ce soit un chien de race Colley, la tête tournée contre le mur dans une position de mécontentement évident. On le comprend !
Rappel biographique : Le peintre britannique John Bratby fut une star des tabloïdes de son époque, dans lesquels il était régulièrement présent tant il défraya la chronique (souvent plus par ses déclarations et ses actes que par ses toiles ! ). La notoriété de Bratby date des ses premières toiles très expressionnistes, et notamment de la série des Angry Young Men (Jeunes hommes en colère) décrivant un certaine ultra-gauche anglaise qui fit sensation dans les années 1960. Classé lui-même très à gauche sur l'échiquier politique, Bratby commença à être l'objet des premiers scandales lorsque les tabloïdes révélèrent qu'il avait amassé une fortune considérable. "Accusation" à laquelle il répondit en 1965 par un célèbre :" Les prolétaires sont des crétins. Ils sont incultes et il dominent la société. Peut-on imaginer pire ? ". Très vite, sa vie entière qui se déroulait déjà dans un désordre revendiqué et assez ingérable, (tout à fait à l'image de ce qui se passe sur la table de cuisine de cette nature morte) tourna au cauchemar et cette société qu'il dénonçait à longueur de temps, lui tourna le dos du jour au lendemain. Le succès s'en alla aussi vite qu'il était venu et si ce n'est Sir Alec Guiness qui le rencontra pour incarner son rôle dans le film The Horse's Mouth de Joyce Cary en 1958, il ne vit plus personne. Ce qui est fascinant avec Bratby c'est que sa façon de peindre et les sujets peints sont à l'identique de sa façon de vivre. Son style expressionniste, désinvolte, vigoureux et quelquefois violent, n'est pas une exception dans l'Europe du milieu du 20e siècle, mais c'est vraiment la façon dont il peint qui est nouvelle. Il applique la peinture du tube pour l'étaler directement sur la toile au couteau à palette, en se moquant ouvertement du résultat obtenu, sur lequel il ne revient jamais. On donna à cette technique le nom de Tubism. Il a peint beaucoup de natures de mortes, principalement de tables de cuisine très encombrées de toutes sortes d'objets ou d'éviers remplis de vaisselle sale, ce qui lui valut le surnom de "peintre d'évier ". Il a peint les cuisines et les intérieurs anglais habituellement si réputés pour leur raffinement sous leur angle sans doute le plus répugnant !
Totalement alcoolique et égocentrique, violent et sale, il a néanmoins fini sa vie comblé d'honneurs dans une Angleterre qui entre ses débuts dans les années 50 et les années 90 s'enfonçait elle-même dans un chaos assez comparable aux oeuvres de Bratby ! En 1971, il fut élu à la Royal Academy of Arts. Ses natures mortes à l'emporte pièce comme sa propre vie, apparaissent pour certains comme une peinture assez fidèle de la société dans laquelle il vécut.
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