lundi 5 octobre 2015

Nicolas de Staël (1914-1955) - Coin d'atelier




Nicolas de Staël (1914-1955)
Atelier Vert  titré aussi Coin d'atelier (1954)
 Centre Pompidou - Paris

Que voit-on ?  Comme souvent  chez Nicolas de Staël, la figuration pointant sous l'abstraction, surtout dans les dernières années de sa vie. Il y a ici plusieurs plans qui se succèdent, du premier plan (en bas) à l'arrière plan (en haut) où se déploie tout ce que l'on peut trouver dans l'atelier d'un peintre.Au premier plan une toile (le tableau dans le tableau) posée à côté d'un pot contenant des pinceaux. Au second plan, un table où gît la palette du peintre. A l'arrière plan; deux autres tableaux posés au centre. Sur les côtés deux formes mais qui pourraient être, à gauche, une ouverture vers l'extérieur et à droite,  le peintre lui-même ou son modèle vu de dos. Prenant ce tableau comme  illustration de ses propos, Maurice Merleau-Ponty à écrit dans L’œil et l’esprit (Paris, Editions Gallimard, 1964) :
" Le tableau est une chose plate qui nous donne artificieusement ce que nous verrions en présence de choses « diversement relevées » parce qu’il nous donne selon la hauteur et la largeur des signes diacritiques suffisants de la dimension qui lui manque. La profondeur est une troisième dimension dérivée des deux autres. Arrêtons-nous sur elle, cela en vaut la peine. Elle a d’abord quel- que chose de paradoxal : je vois des objets qui se cachent l’un l’autre, et que donc je ne vois pas, puisqu’ils sont l’un derrière l’autre. Je la vois et elle n’est pas visible, puisqu’elle se compte de notre corps aux choses, et que nous sommes collés à lui… Ce mystère est un faux mystère, je ne la vois pas vraiment, ou si je la vois, c’est une autre largeur. Sur la ligne qui joint mes yeux à l’horizon, le premier plan cache à jamais les autres, et, si latéralement je crois voir les objets échelonnés, c’est qu’ils ne se masquent pas tout à fait : je les vois donc l’un hors de l’autre, selon une largeur autrement comptée. On est toujours en deçà de la profondeur, ou  au-delà. Jamais les choses ne sont l’une derrière l’autre. L’empiétement et la latence des choses n’entrent pas dans leur définition, n’expriment que mon in- compréhensible solidarité avec l’une d’elles, mon corps, et, dans tout ce qu’ils ont de positif, ce sont des pensées que je forme et non des attributs des choses : je sais qu’en ce même moment un autre homme autrement placé – encore mieux : Dieu, qui est partout – pourrait pénétrer leur cachette et les verrait déployées. Ce que j’appelle profondeur n’est rien ou c’est ma participation à un Être sans restriction, et d’abord à l’être de l’espace par-delà tout point de vue. Les choses empiètent les unes sur les autres parce qu’elles sont l’une, hors de l’autre. La preuve en est que je puis voir de la profondeur en regardant un tableau qui, tout le monde l’accordera, n’en a pas, et qui organise pour moi l’illusion d’une illusion… Cet être à deux dimensions, qui m’en fait voir une autre, c’est un être troué, comme disaient les  hommes de la Renaissance, une fenêtre… Mais la fenêtre n’ouvre en fin de compte que sur le partes extra partes, sur la hauteur et la largeur qui sont seulement vues d’un autre biais, sur l’absolue positivité de l’Être.
C’est cet espace sans cachette, qui en chacun de ses points est, ni plus ni moins, ce qu’il est, c’est cette identité de l’Être qui soutient l’analyse des tailles-douces. L’espace est en soi, ou plutôt il est l’en soi par excellence, sa définition est d’être en soi. Chaque point de l’espace est et est pensé là où il est, l’un ici, l’autre là, l’espace est l’évidence du où. Orientation, polarité, enveloppement sont en lui des phénomènes dérivés, liés à ma présence. Lui repose absolument en soi, est partout égal à soi, homogène, et ses dimensions par exemple sont par définition substituables."

Rappel biographique : Le peintre français  d'origine russe Nicolas de Staël, né baron Nicolaï Vladimirovitch Staël von Holstein,  est issu d'une branche cadette de la famille de Staël-Holstein. Plus d'un demi siècle après sa mort, il reste l'un des peintres les plus marquants du 20e siècle posant un problème aux historiens de l'art qui ne savent pas dans quelle catégorie le classer,  ce qui doit le réjouir post mortem, lui qui détestait les catégories et les courants.
La réinvention de la figuration opérée par Staël a été mal comprise alors qu'elle anticipait d'une vingtaine d'année l'évolution générale de l'art. Il a « retrouvé le visible sans renoncer aux possibilités expressives et à la liberté d'action qui définissent la peinture contemporaine»  alors que Paris perd sa place de capitale des arts, dès les années 1960, sous l'effet du marché de l'art et de la surenchère : " on y est devenu incapable de discerner le pastiche de l'original " selon Umberto Eco.
Selon Marcelin Pleynet et Michel Seuphor : « ...il faut tenir compte de Nicolas de Staël, vu et revu souvent avec et travers l'avant-garde américaine de années cinquante. Ces nouveaux mouvements d'abstraction suivent le cheminement de Staël, délaissant la peinture gestuelle pour une peinture brossée, voir maçonnée ».
Peu exposé de son vivant, son œuvre a donné lieu à de nombreuses manifestations posthumes qui ont confirmé sa stature sur le plan international. " Staël fut le plus puissant créateur de sa génération dans l'École de Paris de l'après-guerre, sur laquelle il a exercé une forte influence Il a été le premier à dépasser l'antinomie  abstraction-figuration ".
Nicolas de Staël meurt à 41 ans en se jetant de la terrasse de l'immeuble où il avait son logement et un de ses ateliers à Antibes. L'ensemble de son oeuvre s'étend sur 15 années. Il a peint, à partir de 1952, plusieurs natures mortes dont quelques unes sont aujourd'hui conservées et exposées au Musée Picasso d'Antibes à quelques pas de son ancien atelier. Plusieurs sont présentées sur ce blog.

2015 - A Still Life Collection 
Un blog de Francis Rousseau, #AStillLifeCollection, #NaturesMortes 

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