Jean-Baptiste-Siméon Chardin (1699-1779)
Fruit, Pichet et Verre, c. 1726/1728
National Gallery of Art, Washington, Chester Dale Collection.
Que voit on ? Très difficile de ne pas tomber en arrêt devant ce chef d'oeuvre d'une simplicité confondante de l'immense Chardin. Son petit jeu favori (dont il aura fait un grand art!) de traitement et d'opposition des textures atteint ici un sommet Le verre d'eau, ses reflets et le jeu des ombres portées sur la petite noisette au pied du verre sont à eux seuls déjà un chef d'oeuvre dans le chef d'oeuvre. Chanceuse National Gallery de Washington qui possède dans ces collections cette petite merveille.
Rappel biographique : Chardin vu par Marcel Proust dans Chardin et Rembrandt, écrit en 1895 et publié en premier dans Le Figaro Littéraire, 27 mars 1954 (éd. La Pléiade, Contre Sainte-Beuve, 1971, p. 373) :
« Si je connaissais ce jeune homme, je ne le détournerais pas d'aller au Louvre et je l'y accompagnerais plutôt ; mais le menant dans la galerie Lacaze et dans la galerie des peintres français du xviiie siècle, ou dans telle autre galerie française, je l'arrêterais devant les Chardin. Et quand il serait ébloui de cette peinture opulente de ce qu'il appelait la médiocrité, de cette peinture savoureuse d'une vie qu'il trouvait insipide, de ce grand art d'une nature qu'il croyait mesquine, je lui dirais : Vous êtes heureux ? Pourtant qu'avez-vous vu là ? qu'une bourgeoise aisée montrant à sa fille les fautes qu'elle a faites dans sa tapisserie (la Mère laborieuse), une femme qui porte des pains (la Pourvoyeuse), un intérieur de cuisine où un chat vivant marche sur des huîtres, tandis qu'une raie morte pend aux murs, un buffet déjà à demi dégarni avec des couteaux qui traînent sur la nappe (Fruits et Animaux), moins encore, des objets de table ou de cuisine, non pas seulement ceux qui sont jolis, comme des chocolatières en porcelaine de Saxe (Ustensiles variés), mais ceux qui vous semblent le plus laids, un couvercle reluisant, les pots de toute forme et toute matière (la Salière, l'Écumoire), les spectacles qui vous répugnent, poissons morts qui traînent sur la table (dans le tableau de la Raie), et les spectacles qui vous écœurent, des verres à demi vidés et trop de verres pleins (Fruits et Animaux). Si tout cela vous semble maintenant beau à voir, c'est que Chardin l'a trouvé beau à peindre. Et il l'a trouvé beau à peindre parce qu'il le trouvait beau à voir. »
Un blog de Francis Rousseau
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.