James Ensor (1860-1949)
Still life with peaches
Private collection
Que voit on ? Sur un entablement de peintre qui figure un dessus de cheminée : quatre pêches dont une ouverte montrant un noyau central encore en place et un fruit de la passion ouvert en deux dont il manque la seconde partie. A l'arrière plan : un pot en porcelaine de Chine dans lequel on a posé, à côté d'un Bonsai, un coquillage rouge dont les circonvolutions sont en tous points semblables aux pétales d'une immense rose ou d'une pivoine géante. Toute la poésie et le mystère des compositions de ce très grand peintre concentrées, avec un talent de coloriste d'une infinie subtilité, dans ce petit "dessus de cheminée" qui date de la période 1882-1887, extrêmement différent des toiles de la maturité.
Rappel biographique : Le peintre belge James Ensor se revendiquait du mouvement anarchiste et a laissé une œuvre expressionniste très importante. Il est un des membres fondateurs du groupe bruxellois d'avant garde Les Vingt. En 1898, il est l'un des instigateurs du bal du Rat mort qui a lieu à la fin du carnaval d'Ostende. Ensor doit attendre le début du 20e siècle pour assister à la reconnaissance de son œuvre : expositions internationales, visite royale, anoblissement avec titre de baron, Légion d'honneur ... on le surnomme alors le prince des peintres. Et c'est précisément ce moment qu'il choisit pour abandonner la peinture et consacrer les dernières années de sa vie exclusivement à la musique !
Dans beaucoup de ses tableaux Ensor est fasciné par la lumière d'Ostende, sa ville natale, qui lui inspire des pâleurs secrètes : « La lumière déforme le contour. Je vis là-dedans un monde énorme que je pouvais explorer, une nouvelle manière de voir que je pouvais représenter. »
Dans la Mangeuse d'huîtres (1882), une nappe immaculée éblouit l'avant-plan et tombe quasi en dehors des limites du cadre. Malgré les tableaux prestigieux que celui-là rappelle (toute la tradition des natures mortes flamande du 17e siècle), mais aussi Vuillard, on le refuse au Salon d' Anvers. L'année suivante, toutes ses toiles sont rejetées du Salon de Bruxelles et il est mis à l'écart du Cercle des 20. Ulcéré, il bascule dans la déraison, couvre et balafre ses toiles de couleurs rougeoyantes symbolisant son exaspération.
C'est entre 1887 et 1893 qu'il peint ses plus beaux tableaux : la gamme chromatique prend feu au milieu des nacres translucides des ciels et des marines. Contemporaine de Van Gogh et d'Edvard Munch, son œuvre contient beaucoup des futures révolutions du Fauvisme au Mouvement Cobra.
Il va s'appliquer à mettre en évidence les aspects grotesques des choses, et s'orienter vers une vision radicale, sarcastique et insolente du monde. Comme chez Pieter Brueghel l'Ancien ou Jérôme Bosch, l'inanimé respire et crie. Ses obsessions et ses peurs jouent un rôle manifeste dans les traits menaçants qu'il attribue aux objets utilitaires, aux revenants et aux masques. Ces derniers, à partir des années 1880 dominent son inspiration et renvoient au carnaval, ce « monde à l'envers », anarchique où les rapports sociaux sont démontrés par l'absurde.
Artiste pluraliste, il l'est également dans son style et ses techniques: toile, bois, papier, carton, couteau à palette, pinceau fin ou spatule… : « Chaque œuvre devrait présenter un procédé nouveau », écrit-il.
Dans un but purement alimentaire, il édite des eaux-fortes, les fameux « biftecks d'Ensor », œuvres purement commerciales mais qui ont fait alors la fierté des marchands de souvenirs. Il réalise aussi des caricatures à la manière de Bruegel et de Bosch.
Par sa prédilection pour les personnages masqués, les squelettes, qui, dans ses tableaux, grouillent dans une atmosphère de carnaval, Ensor est le père d'un monde imaginaire et fantastique qui annonce le surréalisme.
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