mardi 24 décembre 2019

Jean-Baptiste-Siméon Chardin (1699-1779) - La nappe blanche



 

Jean-Baptiste-Siméon Chardin (1699-1779)
La nappe blanche  (c. 1731-32)
Huile sur toile  96.8 x 123.5 cm.
The Art Institute of Chicago

Que voit on ? Sur une nappe blanche  - celle là même qui donne son titre au tableau - dont on aperçoit les plis et qui recouvre les trois quart de la table ovale et un bon tiers de la composition en général : deux verres à pieds dont l'un empli de vin et l'autre couché, non encore utilisé ; un beau morceau de pain blanc qui offre ses plus belles tranches à l'envie ; sur un plat d'argent, débitée en trois morceaux,  une saucisse fumée célèbre,  la " Belle de Morteau " dont l'origine remonte au 16e siècle. Constituant le repas principal des paysans, franc-comtois  elle était traditionnellement offerte au voyageur de passage dans les auberges pour le restaurer de façon substantielle. Sur la table aussi : le couteau élément indispensable dans toutes les natures mortes pour indiquer le sens de la  perspective, mais qui ici a un rôle bien précis, celui de trancher la saucisse  ! A côté de la table : un baquet rempli d'eau fraîche  dans lequel attendent une bouteille de vin et un pichet d'eau.  Scène d'auberge ou d'office, cette composition de Chardin est l'une de ses plus émouvantes par son humanité ... dans un oeuvre qui en compte déjà beaucoup  !

Rappel biographique : Jean-Baptiste-Siméon Chardin est considéré comme l'un des plus grands peintres français et européens du 18e siècle. Célèbre pour ses scènes de genre et ses pastels, il est aussi reconnu pour ses natures mortes dont il reste le maître incontesté. D'après les frères Goncourt, c'est Coypel qui en faisant appel à Chardin pour peindre un fusil dans un tableau de chasse, lui aurait donné le goût pour les natures mortes. A partir du Salon de 1748, Chardin expose de moins en moins de scène de genre, il multiplie désormais les natures mortes. Ce retour à ce type de peinture va durer une vingtaine d'années. Il est difficile de donner des raisons à ce changement de cap. On sait que pendant cette période la vie de Chardin est en pleine mutation. Il se remarie, il reçoit une pension du roi. Il est désormais à l'abri du besoin. Ces deux tableaux de réception à l'Académie Royale de peinture sont tous deux des natures mortes, La Raie et Le Buffet qui se trouvent aujourd'hui au Musée du Louvre. Chardin devient ainsi peintre académicien « dans le talent des animaux et des fruits », c'est-à-dire au niveau inférieur de la hiérarchie des genres alors reconnus. Et c'est sans aucun doute Chardin qui va lui donner ses lettres de noblesse et en faire un genre pictural égal, voire même supérieur à bien des égards, aux autres.
Les natures mortes qu'il peindra à partir de 1760 sont assez différentes des premières. Les sujets en sont très variés : gibier, fruits, bouquets de fleurs, pots, bocaux, verres... Chardin semble s'intéresser davantage aux volumes et à la composition qu'à un vérisme soucieux du détail, ou aux effets de trompe-l'œil. Les couleurs sont moins empâtées. Il est plus attentif aux reflets, à la lumière : il travaille parfois à trois tableaux à la fois devant les mêmes objets, pour capter la lumière du matin, du milieu de journée et de l'après-midi. On peut souvent parler d'impressionnisme avant la lettre.
Chardin cherchait à reproduire la matière, ces fruits semblent aussi vrais que nature, Diderot s'extasiait devant ce réalisme dans son compte-rendu du Salon de 1759 : " Vous prendriez les bouteilles par le goulot si vous aviez soif " ou encore en 1763, " C'est la nature même; les objets sont hors de la toile et d'une vérité à tromper les yeux. (...)
 Pour regarder les tableaux des autres, il semble que j'ai besoin de me faire les yeux ; pour voir ceux de Chardin, je n'ai qu'à regarder ce que la nature m'a donné et m'en bien servir ".
" O Chardin ! ce n'est pas du blanc, du rouge, du noir que tu broies sur ta palette: c'est la substance même des objets, c'est l'air et la lumière que tu prends à la pointe de ton pinceau et que tu attaches sur la toile ".

____________________________________________

2020 - A Still Life Collection
Un blog de Francis Rousseau

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.